Tavel, un rosé… mais quel rosé !

Bien avant l’engouement qu’il suscite aujourd’hui, à une époque où l’argenterie était encore polie et les nappes amidonnées, le Tavel (Cru des Côtes du Rhône) était déjà LA référence en rosé dans la haute gastronomie. Peu d’appellations françaises peuvent se targuer d’avoir traversé les générations sans toucher à leur ADN. Le Tavel est, au même titre que Les Riceys (Champagne), la seule appellation à avoir adopté le rosé comme unique couleur. Aujourd’hui, le rosé jouit d’une belle popularité, et toutes les régions viticoles veulent dès lors avoir leur part du gâteau. Dans les années 50, Hemingway déclarait déjà son amour pour un Tavel avec des huîtres. 70 ans plus tard, il est plus que temps d’examiner à la loupe cette référence du rosé français.

Quel est précisément l’ADN du Tavel ?

Située sur la rive droite du Rhône, entre Lyon et Avignon, c’est en 1936 que l’appellation d’origine Tavel est créée en même temps que celle de Châteauneuf-du-Pape. Les règles sont les suivantes. A Tavel, le rosé est élaboré par macération à froid, ce qui signifie que les peaux des raisins rouges sont macérées dans le moût pendant 12 à 24 heures afin d’obtenir sa couleur rose soutenue. Neuf cépages blancs et rouges entrent dans sa composition : bourboulenc, cinsault, mourvèdre, picpoul, syrah, carignan, clairette, calitor et surtout grenache. Aucun de ces cépages ne peut représenter plus de 60 % des plantations d’une exploitation viticole. Récoltés aux heures fraîches de la journée, les vins sont fermentés dans des conditions de température contrôlée afin de préserver la fraîcheur. On assemble généralement les vins de différentes parcelles en plus d’un assemblage de vins de presse et de vins de goutte. Parfois, le vin est élevé en foudres de bois selon le style de vin que le viticulteur souhaite obtenir.

Le style en fonction du sous-sol

A Tavel, trois types de sous-sol sont présents, chacun d’entre eux conférant aux vins leurs caractéristiques distinctives. Les sols calcaires et crayeux de ‘les vestides’ du fait de leurs faibles rendements, donnent des vins droits et au profil plus serré. Dans le nord-est, on rencontre des sols constellés de galets roulés typiques comme à Châteauneuf. Autrefois retirées des Alpes, elles forment à présent ‘les terrasses de Vallongue’. Pendant la journée, ces galets absorbent la chaleur et la restituent durant la nuit, favorisant ainsi la maturité. Les vins les plus fins et les plus fruités proviennent des sols pauvres et sablonneux, moins pierreux, appelés ‘olivet’. Les vignerons possédant des parcelles sur les différents sols, assemblent souvent les raisins de ces terroirs distincts afin d’obtenir un équilibre dans la cuvée. D’autres vignerons préfèrent accentuer l’expression d’un terroir en particulier. C’est précisément ce qui fait la diversité de Tavel au sein de la famille des rosés.

Les Belges et le Tavel

Aujourd’hui, nous, les Belges, nous sommes les premiers importateurs de Tavel. Avec plus de 66% du marché, nous pouvons nous qualifier de consommateurs fidèles de ce rosé du Rhône méridional, un amour qui, historiquement, est allé crescendo. Ce n’est pas un hasard si la chanson ‘sur le pont d’Avignon, on y danse, on y danse’ est toujours enseignée dans les écoles maternelles belges. Les gros volumes sont principalement vendus dans la grande distribution, ce qui est bien en soi, même si l’ambition des vignerons est d’être plus présents dans la gastronomie et chez les meilleurs cavistes. Une réflexion justifiée, car les vins n’ont cessé de convaincre au fil des ans.

Dégustons…

Neuf exemples de vins rosés de Tavel m’ont été envoyés et je dois dire qu’aucun des échantillons n’a déçu mon palais critique. Le fait qu’il existe différents styles rend l’exercice amusant. Je dois admettre que certains des échantillons annoncent nettement moins d’alcool que ce que l’on attend d’un Tavel. Je ne peux pas appeler cela un changement de style, mais bien une réponse à la demande du consommateur qui recherche plus que jamais des degrés d’alcool moins élevés.

Un vin qui m’a donné autant de plaisir au nez que dans la bouche est le Prieuré de Montézargues 2020. La base de grenache principalement ainsi que la viticulture biologique se concrétisent ici par un caractère vineux. Le vin du terroir d’Olivet est sec et délicat, avec une teneur en alcool modérée.

Un vin qui évoque pour moi la nostalgie des souvenirs de Tavel du début de ma carrière de dégustateur, est le Lunar Apogée Beige 2020. Il s’agit clairement d’un rosé affichant une identité Tavel reconnaissable. Un nez très pur et naturel de garrigue et de cerise acide. Les notes qui développent des arômes terreux et fumés expriment cette origine. C’est un vin à forte teneur en Umami.

La plus grande surprise se révèle dans le dernier vin de la dégustation. La robe s’écarte de la couleur classique du saumon et fait place à un rose orangé au subtil reflet brun. Ce Château de Manissy, Tête de Cuvée 2019 flirte avec une certaine oxydation et évolue vers des arômes secondaires et tertiaires. Gastronomiquement parlant, il fera la part belle aux fromages à croûte fleurie ou accompagnera merveilleusement les menus les plus raffinés. Un vin qui peut être servi comme un grand blanc, pas trop froid et décanté.