ENFANT DE LA MER DU NORD

Le chef Filip Claeys est ce que l’on pourrait qualifier de fonceur modeste, mais têtu. Depuis 10 ans déjà, deux étoiles rouges Michelin ornent la façade de son restaurant De Jonkman à Sint-Kruis-Brugge, étoiles qui cette année ont été rejointes par une ‘Green Star’ Michelin. La Mer du Nord et tout ce qui y vit sont sa grande source d’inspiration. Il est co-fondateur des NorthSeaChefs.

Filip Claeys est originaire d’Adinkerke, petit-fils de pêcheur et fils de chef étoilé. Il n’était âgé que de 13 ans et en était déjà persuadé : il serait chef. Après l’école hôtelière Ter Duinen à Coxyde, il effectue différentes stages notamment chez Heston Blummental en Angleterre. De retour au pays, il rejoint l’équipe de Geert Van Hecke, De Karmeliet (*** Bruges). Il y restera six ans et y deviendra sous-chef. Ensuite, ses stages l’entraînent de Bruges à Oud Sluis (*** Sluis) chez Sergio Herman où il restera également pendant six ans et endossera la fonction de sous-chef. En 2006, il ouvre son propre restaurant, à Sint-Kruis, la périphérie verte de Bruges.

NORTHSEACHEFS

Filip : « J’ai recherché pendant deux ans mon identité en tant que chef. Et c’est lors d’un voyage à Tokyo en 2008, que j’ai eu le déclic. J’étais fasciné par la manière dont les chefs japonais manipulent les produits. De retour en Belgique, je me suis mis en quête de beaux produits locaux. Avec un pêcheur comme grand-père, je me suis rapidement tourné vers nos poissons de la mer du Nord et surtout les poissons moins populaires des prises accessoires.

J’ai très vite compris que nos pêcheurs étaient confrontés à un problème récurrent et c’est ainsi qu’en 2011, avec un collègue, le chef Rudi Van Beylen, j’ai fondé les NorthSeaChefs (NSC). Comme nos pêcheurs n’obtiennent pas un prix équitable pour leurs prises, ils rejettent à la mer les poissons qui ne se vendent pas, à savoir les prises accessoires. Saviez-vous que pour 1 kg de soles pêchées, on ramène 40 kg de prises accessoires dans les filets… De beaux poissons savoureux, mais inconnus du consommateur. Les NSC ont décidé de donner une identité à ces poissons en les travaillant dans leurs restaurants sous la devise : les gens doivent apprendre à manger ce que les pêcheurs ramènent dans leurs filets.

Les armateurs belges disposent de la plus grande zone de pêche d’Europe, si bien que de nombreux navires étrangers sont enregistrés chez nous, notamment à Zeebrugge. Nos pêcheurs peuvent jeter leurs filets du Golfe de Gascogne à l’Irlande, en passant par les côtes sud, ouest et est de l’Angleterre et de la Norvège et toutes les régions intermédiaires. Notre flotte pêche dans cette zone, répartie en zones alternativement ouvertes et fermées, tout au long de l’année. Chaque zone a ses poissons spécifiques et tout le monde ne pêche pas tout.

Les petits navires côtiers restent au large de nos côtes, les plus gros bateaux vont plus loin. Ils restent 4 à 5 jours en mer, puis accostent dans un port local, déchargent et reprennent la mer. Leurs prises sont acheminées par transport frigorifique vers la criée de Zeebrugge. Nous avons ainsi du poisson plus frais et cette manière de faire est beaucoup plus écologique que lorsque les bateaux séjournaient en mer pendant 12 jours. Bien sûr, le Brexit rend à présent le transport plus problématique. Auparavant, tout passait par l’Angleterre, aujourd’hui les navires déchargent en Irlande, ce qui prolonge le transport de 12 heures. »

« Je suis très heureux d’avoir obtenu la ‘Green Star’, une distinction flambant neuve par laquelle Michelin récompense les restaurants qui accordent une attention particulière à la durabilité. »

PERSÉVÉRANCE ET SAVOIR-FAIRE

Filip : « Si un chef veut réussir, il doit avant tout être un entrepreneur. Vous pouvez être le meilleur artisan qui soit, mais si vous n’êtes pas à même de gérer correctement votre établissement, vous mettrez très vite la clé sous la porte. Deuxièmement, un chef doit posséder des connaissances professionnelles et être créatif. Et, il doit être constamment avide d’apprendre. J’ai commencé à 13 ans dans le restaurant de mon père, ce qui a été le début d’un processus d’apprentissage qui n’a, en fait, jamais cessé. Ensuite, la persévérance est très importante, surtout en ces temps incertains. Car même lorsque des difficultés surviennent, il faut continuer d’y croire.

Tout aussi important est d’être en phase avec les produits que vous utilisez et les gens qui se cachent derrière. Je rends donc régulièrement visite à mes fournisseurs, dialogue avec eux, écoute leur histoire. Pour ce qui est du poisson, il m’arrive de passer une nuit à bord du Dini 062, le crevettier d’Ostende qui me fournit des crevettes vivantes d’une fraicheur exquise.

« Il est également essentiel de connaître les techniques de base de la cuisine. On peut comparer la gastronomie au monde de la mode. Les tendances vont et viennent, mais les principes de base restent et tout revient. Parfois à l’arrière-plan, parfois au premier plan. Je trouve que c’est le plus beau métier du monde, mais malheureusement seuls 2% des diplômés des écoles hôtelières entrent dans la profession. Je veux les stimuler en les emmenant dans ma cuisine et en les guidant. »

De Jonkman
Maalsesteenweg 438,
8310 Brugge Sint-Kruis

[ Tine Bral ]
Photos : © Piet De Kersgieter