Depuis le début du siècle se déroule une révolution silencieuse: l’essor des micro-brasseries. Ces petites structures artisanales réinventent l’art de la bière, offrant une diversité et une qualité souvent inégalées. Pourquoi rencontrent-elles un tel succès en Belgique ?

Tradition brassicole

Si la tradition brassicole dans nos régions remonte à la fameuse cervoise gauloise, les abbayes et les monastères joueront un rôle crucial au Moyen âge dans le développement des techniques de brassage et l’établissement d’un monopole étatique de la production d’alcool. Aujourd’hui, selon les Belgian Brewers, notre pays compte quelque 417 brasseries, parmi lesquelles les micro-brasseries se caractérisent par une production limitée, souvent inférieure à 1 000 hectolitres par an, et un accent mis sur la qualité, la créativité et l’authenticité.

« Ce développement de petites structures artisanales a démarré outre Atlantique, explique Cédric Dautinger, rédac’chef de Beer.be. Il s’inscrit dans la mouvance globale de la seconde révolution artisanale de la bière apparue il y a une quarantaine d’années en Amérique du Nord et en Angleterre où les brasseurs venaient de découvrir les styles belges. C’est revenu chez nous il y a environ quinze ans, le temps que cela traverse l’océan, avec un gros boom il y a dix ans.

En 2000, il n’y avait plus à Bruxelles que la Brasserie ­Cantillon (fondée en 1900). Peu de temps après, soutenus par le succès d’une première bière créée pour la Zinneke Parade, Yvan De Baets et Bernard Leboucq créent la Brasserie de la Senne qui, en quelques années, remet les bières ‘craft’, bien houblonnées, au goût du jour. Depuis 2019, la Brasserie est installée sur le site de Tour et Taxis. De nouveaux acteurs ont suivi et on dénombre à présent une vingtaine de microbrasseries dans la capitale, mais aussi en Flandre, essentiellement à Gand. »

Innovation

Le développement des micro-brasseries répond également à une demande croissante de bières artisanales et de spécialités locales. Ces petites structures sont souvent fondées par des passionnés qui offrent une alternative aux bières industrielles. Jouant un rôle crucial dans l’économie locale, les micro-brasseries favorisent aussi l’entreprenariat et participent à une prise de conscience écologique. Beaucoup de micro-brasseries adoptent en effet des pratiques durables, telles que l’utilisation de matières premières de leur région, la réduction des déchets et la minimisation de l’empreinte carbone.

L’une des caractéristiques marquantes des micro-brasseries belges est leur capacité à innover. Contrairement aux grandes brasseries, elles ne sont pas contraintes par les impératifs de production de masse, ce qui leur permet d’expérimenter avec des ingrédients inhabituels et des procédés de fermentation innovants. On retrouve ainsi des bières aux saveurs variées, allant des lambics sauvages aux stouts robustes, en passant par des IPA houblonnées et des Saisons rafraîchissantes.

Les bières produites par ces micro-brasseries sont souvent non filtrées et non pasteurisées, ce qui permet de préserver les arômes et les saveurs naturelles. Elles sont généralement plus complexes et riches en goût, une véritable aubaine pour les amateurs de bière.

Défis

Malgré leur succès, les micro-brasseries belges doivent faire face à plusieurs défis. « La crise Covid, reprend Cédric, a donné un grand coup de frein à leur développement, aggravé par la fermeture de l’Horeca, puis par la hausse des matières premières et de l’énergie et enfin par la guerre en Ukraine, grand producteur de céréales et, on l’oublie parfois, de bouteilles en verre. Les habitudes des consommateurs ont changé, il n’y a plus d’aides de l’Etat, l’Horeca en crise… : l’équilibre financier est difficile. »

De même, coûts de production et exigences réglementaires peuvent être particulièrement lourds pour les petites structures. Malgré cela, l’avenir des micro-brasseries belges reste prometteur. La tendance vers la consommation de produits locaux et artisanaux joue en leur faveur. De plus, de nombreux micro-brasseurs s’unissent pour investir dans des équipements de pointe et développer des collaborations pour étendre leur influence. Le paysage brassicole belge continuera certainement d’être enrichi par ces passionnés qui perpétuent et réinventent une tradition millénaire.

Le pari de CoHop

La concurrence avec les grandes brasseries qui ont une certaine mainmise sur le marché reste en effet importante, et les micro-brasseurs doivent constamment innover pour se démarquer. De nouvelles initiatives se mettent toutefois en place, comme celle de CoHop (hop pour houblon), la première coopérative de micro-brasseries, fondée à Bruxelles par quatre micro-brasseries – Brasserie Witloof, DrinkThatBeer, Janine et 1B2T/1 bière, 2 tartines.

« Le projet a été initié par Thomas, explique Rémi (DrinkThatBeer), qui a réuni plusieurs partenaires avec l’idée de mutualiser les équipements, partager les expériences, les compétences et aussi relocaliser la production à Bruxelles. Avant cela, nous faisions tous les quatre brasser à façon et pour la plupart en dehors de Bruxelles, nous voulions rendre la chose encore plus locale. »

En juin 2021, le groupe s’installe à l’Arsenal à Etterbeek et le premier brassin est produit en avril 2022 : « Nous avons mis nos valeurs en commun pour définir notre projet, poursuit Rémi. Au-delà de l’achat de matières premières et de matériel, nous voulions aussi créer un local le plus écoresponsable possible, avec récupération de la chaleur du groupe froid pour la réinjecter dans le circuit de chauffage, et avec optimisation de la consommation d’énergie. Un accent a également été mis sur le partage, accessible à chacun. Depuis le bar en mezzanine, qui nous permet de vendre tous nos produits en circuit ultra court, chaque visiteur peut suivre tout ce qui se passe. C’est un lieu convivial où l’on peut se réunir, l’offre est assez large, avec des concerts et divers événements culturels. A l’entrée, une sandwicherie a été créée. A quatre, nous produisons environ 400hl par an, nous sommes donc bien restés une micro-brasserie… »

Sur le site cohop.be, une phrase résume le projet, qui est aussi celui de toutes les micro-brasseries : « Dans un monde où le contact humain est redevenu central, où l’artisanat, l’ancrage local, le partage et la solidarité sont des valeurs mises en exergue, nous visons à valoriser l’artisanat bruxellois en facilitant la création de micro-brasseries pérennes et éco-responsables, renforçant ainsi l’offre de produits artisanaux de qualité sur le marché bruxellois. » On ne saurait mieux dire…

Et l’Horeca dans tout cela ?

Diffusant l’essentiel de leurs productions sur place afin de valoriser leur marge, les micro-brasseries sont bien sûr très présentes dans les bars à bières, mais encore peu dans les restaurants, notamment du fait de leur diffusion fréquente en canette et non en bouteille, et d’un temps de conservation relativement court.

« Si l’on trouve des menus dans certains restaurants, conclut Cédric, avec de beaux accords mets-vins, les pairings avec la bière sont encore trop rares. Il faut encore beaucoup démarcher et que les restaurateurs, les chefs et les sommeliers s’y intéressent davantage. Il y a toutefois une nouvelle vague de jeunes sommeliers qui proposent de chouettes combinaisons houblonnées, aussi sans alcool. Cela va faire son chemin… »

[ Muriel Lombaerts & Marc Vanel – photos : © Marc Vanel & Adrien Dubois (CoHop) ]