Pour Joke Michiels et le chef Vilhjalmur Sigurdarson du restaurant Souvenir à Gand, la durabilité est une priorité absolue, et ce tant dans la cuisine que dans la gestion du personnel. En 2019, Souvenir a été récompensé d’une étoile Michelin, à laquelle s’est ajoutée en 2020, une Etoile Verte, car les légumes sont l’ingrédient principal de la cuisine de Vilhjalmur. Il applique le principe du ‘Root to Leaf’ et vise le ‘Zéro Déchet’. En 2022, Joke a été distinguée d’un Parabere Care Award’, un prix international qui est décerné chaque année à une personne qui déploie des efforts considérables pour améliorer l’équilibre vie professionnelle/vie privée de son personnel dans le secteur de l’Horeca.

Absolument unique

Joke : « Début 2020, je me suis rendue, accompagnée de ma bonne amie Tina der Heyden du Lepelblad à Gand, au forum Parabere à Istanbul. On y parlait de durabilité dans l’Horeca et lorsque le public a pu poser des questions, j’ai lancé que jusqu’à présent, il avait été question de durabilité dans la cuisine, mais que rien n’avait été dit au sujet de la durabilité envers les personnes de notre secteur. C’est une véritable ‘maladie’ dans notre secteur et j’y travaille très dur depuis la création de Souvenir en 2014 (à l’époque à Ypres) : chez nous, pas d’exploitation, pas de discrimination, pas de harcèlement, pas d’abus.

« Dans la haute gastronomie particulièrement, les membres du personnel touchent un salaire minimum d’environ 1.700 euros nets et ce, souvent, pour travailler 100h par semaine de 8h à 2h du matin. Et plus il y a d’étoiles, plus c’est la pratique. Les situations où ils commencent à 8h et doivent travailler jusqu’à 17h sans avoir le droit de manger quoi que ce soit, puis ont 30 min de ‘repos’ pour reprendre le travail jusqu’à 2h du matin existent toujours. Il est minuit moins une dans notre secteur, mais… ce n’est pas forcément dramatique : faisons partie de la solution plutôt que du problème. Les choses peuvent être différentes !

« Lorsque j’ai reçu le prix, je me suis soudain rendu compte que notre manière de travailler était assez unique. Chez Souvenir, la semaine de travail est de 40 heures et nous appliquons le système d’heures supplémentaires brutes=nettes, mais nous les limitons à un maximum de 10 par semaine, ce qui fait qu’un maximum de 50 heures par semaine est travaillé et… chaque minute compte et est payée.

« Dans notre restaurant, les clients n’ont pas le droit de se comporter de manière incorrecte avec mon personnel, ce n’est pas parce que le client paie qu’il a le droit de faire des remarques sexistes ou racistes. J’interviens alors immédiatement et je soutiens à fond mon personnel. (rires) Oui, il m’est arrivé de mettre une table à la porte en plein milieu du repas.

« C’est la raison pour laquelle mon équipe se démène pour nous. Je n’ai pas de problèmes de personnel, ils restent avec nous pendant des années. Naomi, mon bras droit, est ici depuis cinq ans. C’est un investissement que l’on fait, à la fois émotionnel/personnel et financier. Les bénéfices sont peut-être plus limités, mais en tant qu’entrepreneur, vous avez une responsabilité, vous employez des gens et vous racontez une histoire. Vous ne pouvez pas être plus durable avec vos carottes dans la cuisine qu’avec les personnes qui travaillent pour vous.

« Nous n’avons jamais eu de brigade classique. Une telle brigade peut être un terrain propice aux abus, car la domination y est courante. Les histoires de harcèlement existent encore aujourd’hui et il est urgent que cela change. Supprimez la forme de la brigade et vous supprimerez l’atmosphère de relations de pouvoir.

« Chez nous, pas de hiérarchie, chacun a la possibilité d’utiliser au mieux ses talents et ses spécialités. Ce n’est pas parce que l’on est meilleur dans un domaine que l’on est mieux qu’un autre. Cette façon de travailler fait encore trop souvent défaut dans le secteur de l’Horeca. Rien ne vous empêche de créer des groupes pour différentes tâches et il doit y avoir un responsable, mais pas un ‘chef’. Dans les grandes brigades, c’est sans doute plus difficile, mais les choses peuvent être gérées différemment. Cette approche doit partir du chef ».

Notre propre durabilité

En plus d’être un membre actif de Parabere, Joke est également l’une des ambassadrices de Tourism Vlaanderen, dont les articles paraissent dans ‘Goesting’. Elle était en route avec Vilhjalmur pour Copenhague le jour de l’interview.

Joke : « Goesting a été créé par Tourism Vlaanderen pour mettre la région sur la carte du monde sur le plan gastronomique, notamment en participant à des foodfestivals comme celui qui se tient actuellement à Copenhague. Nous ne sommes pas seuls, il y a aussi Humus x Hortense, Zuut, Balls&Glory et la brasserie Geuze 3 Fonteinen. Nous sommes 21 au total, des traiteurs aux maraîchers en passant par les brasseurs. Vous êtes ambassadeurs pendant trois ans. Il n’y a donc pas que des chefs et des responsables de salle (rires). Je n’aime pas qu’on m’appelle ainsi, je trouve cette appellation plutôt désobligeante. Nous sommes un maillon important dans nos restaurants et on ne peut pas nous considérer comme ‘la femme du chef’ qui reçoit les clients. La plupart d’entre nous sont des employées à temps plein qui s’occupent souvent de l’administration, de la comptabilité et des ressources humaines, en plus de leur travail lors les services. Je suis donc : Joke de Souvenir ».

Avec trois enfants, je pense que cela ne doit pas être simple d’avoir le tout sous contrôle et de se laisser du temps pour soi.

Joke : « Il est assez rare que nous quittions la maison le dimanche, nous préférons garder ce jour entièrement pour notre famille. Afin de passer plus de temps avec les enfants, je ne suis plus au restaurant tous les soirs. Dans la journée, je m’occupe des ressources humaines, de la comptabilité et je prépare toutes sortes de boissons non alcoolisées pour le restaurant. Au restaurant, j’ai Naomi en qui je peux avoir confiance à 100 % et qui s’occupe très bien de mon établissement. Nous sommes actuellement ouverts du lundi au vendredi, mais nous allons bientôt passer à une semaine de travail de 4 jours, du mercredi soir au samedi soir, avec un service l’après-midi et le soir uniquement le jeudi et le vendredi.

« Et oui (rires), je m’accorde aussi une certaine durabilité. Je pratique le yoga, ce qui me stimule physiquement et mentalement à chaque fois. Je prends aussi du temps pour un réel me-time : aller chez le coiffeur, rencontrer un ami et, bien sûr, sortir dîner avec Villi (rire général)… Soutenir l’économie locale, ça, je le fais très bien ! »

Souvenir
Brabantdam 134, 9000 Gent, www.souvenir.gent

[ Tine Bral – photos : © Heikki Verdurme ]