Un morceau de cabillaud tout frais agrémenté d’une sauce mousseline, des solettes cuites au beurre de ferme ou une aile de raie aux câpres : le poisson est omniprésent dans nos établissements Horeca. Mais avant que ce poisson n’arrive dans l’assiette du client, il a déjà parcouru un long chemin : pêche, tri, criée, filetage, portionnement, stockage, préparation… Le poisson est un produit savoureux, cher et délicat à la fois, qui doit être entouré des meilleurs soins. Nous en parlons avec Maarten du Bois, un Zélandais installé à Zeebruges dont les racines sont profondément ancrées dans la pêche. Maarten a exploité un commerce de gros de poisson pendant près de 40 ans. Il est président de VISGRO (organisation professionnelle du secteur du poisson) et du groupe sectoriel ‘Visserij en Aquacultuur’ du VLAM.
Maarten, on peut dire que vous avez réellement grandi « parmi les poissons ».
Martin du Bois : C’est une certitude. Mes grands-parents tant côté maternel que paternel travaillaient dans le commerce du poisson en Flandre zélandaise.
Mes grands-parents paternels avaient un fumoir de sprats. Après la mort de mon grand-père, ma grand-mère a créé avec son nouveau compagnon une conserverie d’anguilles, dans laquelle ils nettoyaient eux-mêmes les anguilles. C’était donc un métier qui exigeait beaucoup d’efforts de leur part.
Mes grands-parents maternels exerçaient un commerce ambulant de maatjes et d’anguilles fumées depuis Breskens. Ils étaient également présents sur les marchés de Terneuzen, d’Hulst et d’Axel. Mes parents ont ensuite repris ces marchés de mes grands-parents. Enfant, j’accompagnais papa et maman pour les aider sur le marché. C’était un travail harassant. En Belgique, la plupart des marchés s’arrêtent peu après midi, mais, aux Pays-Bas, ils restent ouverts jusqu’à 17 heures. Et puis il fallait encore tout démonter, rentrer à la maison et tout préparer pour le jour de marché suivant. C’était en fait un travail de titan.
J’en conclus que vous n’envisagiez pas d’emblée de vous lancer également dans le commerce du poisson.
En effet. Après mes études secondaires, j’ai étudié la pédagogie et la kinésithérapie, mais ce n’était pas vraiment mon truc. J’avais le poisson dans les veines et j’ai voulu y revenir. Je ne voyais pas vraiment mon avenir sur ces marchés et, c’est ainsi qu’en collaboration avec mon père, j’ai commencé à approvisionner l’Horeca en poisson frais. Mon premier client a été Ronny Jonkman, le chef renommé à l’époque qui a donné son nom à De Jonkman, l’actuel restaurant deux étoiles de Filip Claeys. Le père de ma petite amie de l’époque était marchand de gibier et m’a présenté à de nombreux restaurateurs. Avant même de m’en rendre compte, j’avais créé Chef’s Secret, mon propre commerce de gros de poisson.
J’imagine que la gestion d’un commerce de gros de poisson n’est pas une mince affaire. La concurrence est rude et les clients Horeca sont critiques.
Ça, c’est sûr. J’avais bien sûr l’avantage d’avoir baigné dedans petit, mais une formation continue s’avère néanmoins indispensable.
J’ai fait en sorte d’acheter les meilleurs poissons de la criée, de tout tailler parfaitement en filets, de portionner en parts égales et de soigner l’emballage. J’ai rapidement acquis une bonne réputation et je comptais de nombreux grands restaurants parmi mes clients. Sergio Herman était ainsi un très bon client.
J’aimais aller dans la cuisine et apprendre à bien connaître mes clients. Cette bonne relation est intéressante à la fois pour le restaurateur et pour le commerçant. J’avais ainsi un client qui voulait toujours un turbot de 6,5 kg exactement. Ni plus ni moins. De cette manière, il pouvait le portionner parfaitement sans excédent. Je le recherchais donc spécifiquement pour lui. Pour un restaurant réputé situé sur la digue de Knokke, je devais livrer des soles de 450 à 520 grammes. Ce n’est pas si simple, mais nous l’avons fait.
Nous avions également une machine qui nous permettait de trier les homards à 50 grammes près. Dans ce métier, il est très important de pouvoir livrer exactement et à temps ce que le client demande.
Vous avez travaillé dans le secteur de la pêche presque toute votre vie. Qu’est-ce qui vous attire tant dans cette branche ?
Elle possède un côté aventureux et imprévisible et j’aime ça. Parfois, vous passez quelques nuit blanches pour honorer une commande inattendue. Mais quelle montée d’adrénaline lorsque vous y arrivez. Vous allez à la recherche de nouveaux produits jusqu’au Danemark ou en Islande. Vous êtes à la criée, tôt le matin, et vous vous demandez ce que les pêcheurs ont ramené. Vous montez avec les pêcheurs à bord de leur bateau. Vous découvrez le monde des grands chefs… Tout cela est passionnant.
‘Notre poisson’ de la mer du Nord, comment devons-nous en apprécier la qualité ?
La sole, le turbot, la lotte ou la raie que nos pêcheurs – et j’entends par là les bateaux belges et néerlandais – débarquent à quai sont de classe mondiale. Leur saveur et leur texture sont inégalées. Ils sont plus fermes, plus charnus, plus juteux… Vous pouvez également commander de la sole en France, mais elle aura moins de goût.
Le mot ‘durabilité’ revient souvent lorsqu’il est question d’alimentation. Que signifie pour vous la durabilité dans le contexte de la pêche ?
Si vous voulez que nos petits-enfants puissent encore manger du poisson, nous devons pêcher les intérêts de la mer et ne pas en grignoter le capital. Nous devons donc veiller à ce que les ressources piscicoles restent suffisantes. C’est aussi pour cette raison que les quotas européens ont été créés. Les 27 pays de l’UE ont une politique commune de la pêche. Ces quotas indiquent où vous pouvez pêcher quelles espèces de poisson et en quelle quantité. En respectant les quotas, vous agissez donc déjà de manière tout à fait durable.
Les professionnels de la pêche critiquent souvent ces quotas.
Les quotas sont une bonne chose en soi, mais le problème est que les avis scientifiques sur lesquels ils se fondent sont souvent en retard sur la réalité. Ils sont donc parfois trop stricts. À un moment donné, la mer d’Irlande était noire de soles, mais vous ne pouviez plus en pêcher.
Pour se faire une image plus réaliste des ressources halieutiques, il existe désormais la technologie Vistools. Il s’agit d’une boîte, une sorte de boîte noire, reliée aux filets, aux balances et à la pompe de carburant du bateau.
Des informations en temps réel sont ainsi disponibles sur les prises de poissons et la consommation de carburant. La science peut donc très bien utiliser ces données. 38 des 55 bateaux de pêche belges sont déjà équipés de cette technologie. Malheureusement, ce système n’a pas été aussi bien déployé dans le reste de l’Europe. Nous espérons changer cela.
La durabilité en matière de pêche dépasse les simples quotas. Le score VALDUVIS a, par exemple, été instauré.
En effet. En fait, ce système est né de la volonté des supermarchés d’obtenir une note de durabilité. Les pouvoirs publics ont alors demandé à la science de développer une norme. C’est ainsi que VALDUVIS a vu le jour. Les armateurs sont évalués selon 11 indicateurs : rémunération de l’équipage, santé de l’entreprise, pression de la pêche, perturbation des fonds marins…
Les bateaux qui obtiennent une note satisfaisante se voient attribuer le label ‘Visserij Verduurzaamt’ (pêche durable). Nos pêcheurs consentent beaucoup d’efforts pour obtenir ce label et la plupart d’entre eux l’ont déjà obtenu. Dans le domaine de la pêche, la Belgique est le meilleur élève de la classe (rires). Lorsque j’ai commencé en 1981, la pêche belge était encore un semi-braconnage. Aujourd’hui, les choses ont complètement changé.
De nombreuses campagnes sont menées pour promouvoir la consommation de poissons durables, souvent moins connus. Ces campagnes ont-elles un effet ?
Nous constatons qu’elles sont efficaces dans un premier temps mais qu’elles s’essoufflent ensuite. Elles ont donc un impact, mais plutôt temporaire. C’est frappant avec le Poisson de l’Année. Un effort constant est dès lors de rigueur. Le Belge reste un mangeur de poissons classiques : sole, cabillaud, saumon, etc. Pourtant, les espèces moins connues, comme le tacaud ou le merlu, sont aussi savoureuses. Il s’agit souvent d’espèces plus petites qui contiennent beaucoup d’arêtes et induisent plus de pertes lors de la découpe en filets.
Toutefois, lorsque le Belge est à la plage en Espagne, il aime manger des sardines grillées pleines d’arêtes. Cela tient donc beaucoup au décor qui l’entoure (rires).
J’aimerais présenter un projet pour transformer ces espèces sous-estimées en produits préparés, par exemple en croquettes ou en boulettes de poisson.
Les prix élevés de la sole et des crevettes ont fait beaucoup de bruit dans les médias. Pourquoi ces produits sont-ils si chers ?
De nombreux bateaux néerlandais pêchant les soles ont disparu récemment, ce qui a entraîné une pénurie et donc une hausse des prix. Toutefois, les médias ont beaucoup exagéré le problème. Les prix indiqués concernaient la plus grande taille de soles. Un exploitant Horeca peut aussi, par exemple, en servir temporairement deux plus petites au lieu d’une grande.
En ce qui concerne les crevettes : nous sommes fortement tributaires du climat. Il faut beaucoup de soleil pour avoir beaucoup de crevettes. Lorsque le temps est beau et ensoleillé, les prix repartent à la baisse. Les gens pensent parfois que ces prix sont maintenus artificiellement à un niveau élevé, mais ce n’est absolument pas le cas.
Tout à coup, nos pêcheurs ramènent beaucoup de calamars, alors qu’ils n’en pêchaient quasi jamais auparavant. Comment est-ce possible ?
Il s’agit d’une conséquence directe du réchauffement climatique. Autrefois, la mer du Nord était trop froide pour le calamar.
La plupart des calamars pris par les pêcheurs belges sont exportés vers la France, l’Italie et l’Espagne. Pourtant, avec le VLAM, nous encourageons la consommation de calamars. Il existe de nombreuses façons de les préparer, toutes plus délicieuses les unes que les autres.
Enfin, il y a deux ans, la croquette aux crevettes d’Ostende a été reconnue par le VLAM comme produit régional flamand. Coxyde, Nieuport et La Panne on fait grise mine. La côte occidentale a fait valoir que ses croquettes aux crevettes présentaient elles aussi un caractère régional et étaient liées à son histoire.
C’est en effet ce qu’a décidé la section Produits régionaux du VLAM.
Je peux comprendre que les gens de la côte occidentale n’aient pas été très heureux de cette décision. Il est difficile d’associer un produit comme les croquettes aux crevettes à une ville en particulier. La ‘croquette aux crevettes de Flandre occidentale’ aurait probablement été une reconnaissance plus pertinente.
[ Ruben De Ville ]