Une véritable mosaïque géologique, sept cépages principaux (dont six blancs) plantés sur environ 15.000 hectares, 53 appellations d’origine protégée (AOP) sans oublier deux mentions complémentaires (‘vendanges tardives’ et ‘sélection de grains nobles’) et des vins de plus en plus cultivés en ‘bio’ et ‘biodynamie’. Et aussi pas de ventes en vrac, tous les vins doivent être embouteillés dans la région : l’Alsace est un vignoble qui aime se singulariser.
C’est une région dépaysante qui respire la quiétude. Ce furent trois jours de visites intenses avec, notamment, un focus sur un cépage qui semble connaître un renouveau (le sylvaner) et un autre sur le crémant dont les ventes ne cessent de croître. Dans cette famille, c’est d’ailleurs celui d’Alsace qui est le plus vendu en Belgique.
A Eguisheim, Paul Ginglinger nous accueille. Il constitue la douzième génération de ce domaine familial créé en 1610. Après des études d’oenologie à Reims, il voyage, fait des stages en Afrique du sud (‘où j’ai appris ce qu’il ne fallait pas faire‘, ose-t-il) et au Chili, chez Montes. Un crémant pur chardonnay, brut nature 2019, débute la dégustation. Un léger boisé (un mois en foudres de bois) et cinq ans sur lies avant dégorgement. Bulles fines et persistantes, bouche structurée, intense et, bien sûr, très brut. « Il n’y avait plus beaucoup de demandes. On n’en a plus planté depuis une vingtaine d’années », constate Paul Ginglinger concernant le cépage sylvaner. Son sylvaner 2022 ‘Bodenacker’ (sec) est élaboré avec des vignes d’une soixantaine d’années qui ont un rendement de 50 hectos/ha. On est loin des 100 hectos/ha que pouvait produire ce cépage… Un vin dynamique, vibrant, d’une belle fraîcheur en n’excluant pas une certaine profondeur. Chez Ginglinger, on n’aime pas le sucre. Alors, ce riesling grand cru pfersigberg hertacker 2021 (un millésime ‘tendu’), bien sec, se montre longiligne et cristallin. Importateurs : La Maison des Vins Fins à Mons, La Cave des Oblats à Liège, Le Millésime à Sourbrodt et Kovino à Eeklo.
Chez Barmès-Buecher, à Wettolsheim, Sophie et Maxime ont pris la succession paternelle sous le regard bienveillant de leur mère. ‘Filigrane’ est une création associant le pinot blanc (63%) et du sylvaner vieilles vignes (37%). Bel équilibre entre le fruité du premier et la vivacité du second pour ce 2022. Un pinot gris rosenberg du même millésime se présente bien sec (ce qui est finalement rare en Alsace pour ce cépage). Elevé en foudres, il a mis 18 mois pour finir son sucre. Riche, concentré, intense. Le pinot noir 2022, planté sur des coteaux calcaires, a été élevé en vieilles barriques bourguignonnes. Arômes de fruits rouges, de cerise kirschée et au boisé peu marqué. Importateur : Vitis Vin à Gand.
Chez Dopff Au Moulin, à Riquewihr, on célèbre cette année les 450 ans de cette Maison qui fut pionnière du Crémant
d’Alsace. Aujourd’hui, pas moins de onze cuvées différentes de crémant sont proposées. Dégustation avec Etienne-Arnaud Dopff, 13ᵉ génération. La Cuvée Julien est emblématique de ce producteur. Du pinot blanc pour la fraîcheur, de l’auxerrois pour la structure. Dosée à 4,5 grammes (c’est donc un extra brut), elle repose deux ans sur lies avant dégorgement. La cuvée ‘Wilde’ est un brut nature élaboré sur la base de la cuvée Julien. Elle se montre fraîche, vivace, alerte, parfaite à l’apéritif. Et puis, une curiosité. Une cuvée ‘Solera’ 100% chardonnay, sans sulfites ajoutés, sur lies et non filtrée. Ce principe de vin perpétuel associe les millésimes de 2011 à 2017. Un crémant mature aux notes de fruits mûrs, plus ‘de table’ que d’apéritif. Très intéressant. Importateur : Cinoco- Palais du Vin (uniquement Cuvée Julien).
« Avec le riesling ? Un coq au vin avec des cèpes ou une volaille sauce pickles »
C’est une des plus anciennes coopératives de France. Celle de Ribeauvillé a été créée en 1895. Une quarantaine de viticulteurs y apportent leurs raisins pour produire 35% de vin bio. « Nous sommes une cave dans un esprit familial et disposons d’un terroir très apte au riesling. Quasi 40% des vins élaborés sont ici de ce cépage. Et 30% de nos apports sont dédiés au crémant, nous dit Yves Baltenweck, le président. Un sylvaner 2023 issu de vignes de plus de quarante ans est marqué par sa profondeur (pas toujours évidente pour ce cépage qui semble être réhabilité dans la région) et sa maturité. « Un cépage décrié lorsqu’il affichait des rendements excessifs de plus de 100 hl/ha. L’idéal, c’est une soixantaine », assure le président. Un grand cru Ostenberg se montre sec, droit, tendu. Trois qualificatifs qui conviennent à ce cépage. Il pointe 3,5 grammes de sucre. Et le président, qui aime cuisiner, lui associe un coq au riesling avec quelques cèpes où encore, plus surprenant, une volaille avec une sauce pickles. Le pinot gris 2020 bio avoue ses 20,9 grammes de sucre. Mais, grâce à son acidité, il est maîtrisé. Dans les crémants, on peut relever un bio, issu des trois pinots, élevé 36 mois avant dégorgement. Et un pur chardonnay , plus ‘de table’ que ‘d’apéritif’ qui assume 80 mois avant dégorgement. Importateur : Belgian East Wine à Verviers.
A Mittelbergheim, la Maison Boeckel est une institution. Ses vins sont bien présents dans la restauration belge, surtout à Bruxelles. Avec Thomas et Jean-Daniel, on débute la dégustation par un crémant 100% cépage auxerrois. C’est un brut dosé à 5 grammes. On poursuit avec un 100% chardonnay issu de vieilles vignes (1968) dosé à 1 gramme qui a reposé 3 ans avant dégorgement. Cet extra-brut se veut très vineux et déjà en évolution. Le domaine possède 26 ha de vignes en culture bio. La famille Boeckel apprécie aussi le sylvaner. La commune est dotée d’un grand cru issu de ce cépage, le Zotzenberg : unique en Alsace. Le Sylvaner 2022 ‘Midelberg’, élevé en foudres centenaires, déploie une belle maturité (effet millésime) tout en préservant élégance, légèreté et fraîcheur typique du cépage. Importateur : Velu Vins-Avinum à Anderlecht.
18ha de vignes dont six grands crus. La famille Bott-Geyl, installée à Beblenheim, nous fait déguster une cuvée originale, ‘Points Cardinaux’ 2021, qui associe pinot blanc, pinot auxerrois, pinot gris et même un peu de pinot noir vinifié en blanc. Nez floral, bouche tendue. Plus complexe, le riesling grand cru Schoenenbourg 2018, encore en évolution, offre une intensité vibrante. Importateurs : Tricot à Charleroi, Godaert-Van Beneden à Molenbeek, Wijnen Vanden Bulcke à Roulers.
L’actualité en Alsace
La flûte traditionnelle n’aura plus le monopole
L’AVA (association des viticulteurs d’Alsace) vient d’approuver deux autres conditionnements possibles pour les vins d’Alsace. Jusqu’à présent (et depuis 1971), la seule flûte traditionnelle était autorisée. Désormais, le seront également deux nouveaux formats de bouteille. La ‘Renaissance’ et la ‘Bourgeoise’, plus écrasées et bombées sur la partie inférieure. La mise en bouteille dans la région reste obligatoire. Pas de Bib, pas de cannette non plus pour les vins alsaciens.
Le riesling sera sec !
Cette mesure décidée partage et divise les producteurs. Désormais, le riesling devra être sec, moins de 4 grammes de sucre résiduel. Exit donc les vins de riesling présentant davantage de sucre. Si la moitié des producteurs approuvent cette décision, une autre moitié, dont son chef de file Pierre Gassmann (Domaine Rolly-Gassmann) s’insurge : « c’est une frénésie normative, « une standardisation », « un nivellement par le bas ».
[ Patrick Fiévez ]