C’est la fin du mois de novembre et nous sommes en Bourgogne, à mi-chemin entre Bourg-en-Bresse et Chalon-sur-Saône, à la ‘Ferme Le Devant’ où l’entrepreneur Horeca belge Dimitri De Cuyper élève des poulets de Bresse. Une histoire passionnante, engageante et instructive.

Ferme Le Devant

Le nom de Dimitri De Cuyper vous dit certainement quelque chose. Il est la force motrice de La Quincaillerie à Bruxelles et de Het Pakhuis à Gand. Ces établissements se concentrent sur les produits haut de gamme et cela inclut les poulets de Bresse. Lorsque Dimitri a eu l’occasion de reprendre l’élevage de poulets de leur fournisseur en 2008, il n’a pas hésité un instant. Depuis décembre 2008, ses poulets participent également à la manifestation phare de la région, ‘Les Glorieuses de Bresse’.

Il nous faut un certain temps pour trouver le petit chemin de campagne qui mène vers Le Devant. La ferme et le terrain appartenaient autrefois à une famille noble et, comme la ferme se trouvait littéralement devant le château, c’est logiquement qu’on l’appela ‘la ferme devant’. Le château a disparu, la ferme, le terrain et le nom sont restés. Christophe Perraut, éleveur diplômé, a suivi Dimitri dans l’aventure et gère l’ensemble au quotidien. Outre les poulets, les 80 hectares du Devant abritent également des porcs de Bayeux, un croisement entre les races normande et berkshire qui étaient jusqu’à récemment menacées d’extinction, et des moutons Hampshire Down, les tondeuses à gazon naturelles et les meilleurs ‘potes’ des poules.

Dimitri nous entraîne vers un petit bâtiment en bois dans les prés. ‘Toc toc.’ « Toc toc ? » « Si vous entrez directement, les poulets paniquent, se réfugient dans les coins les plus éloignés et s’écrasent les uns contre les autres. Nous avons résolu ce problème en mettant des bottes de paille dans les coins, vers lesquelles ils peuvent s’enfuir. » Il devine notre surprise. « Ce ne sont pas des poulets ‘domestiques’, à part les quatre personnes qui travaillent ici, ils ne voient personne. Par nature, les poulets sont très sensibles au stress. En frappant avant d’entrer, ils sont alertés et donc moins effrayés. »

Qu’est-ce qui fait d’un poulet, un poulet de Bresse ?

Les poulets de Bresse sont élevés selon un cahier des charges strict et chaque éleveur reçoit régulièrement la visite du Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse (CIVB), et ce tout au long de l’année. Il n’existe qu’un seul ‘vrai’ poulet de Bresse et il représente littéralement le drapeau français : plumes blanches, pattes bleues et crête rouge. Les poulets ne vivent en liberté que dans une zone bien définie : Rhône-Alpes, Bourgogne et Franche-Comté. Seuls ces poulets peuvent porter le label unique de Bresse. Les aliments complémentaires sont également strictement réglementés. Si le poids est correct, les volailles reçoivent le label AOC et la fameuse bague autour de leur patte.

Dimitri : « Vers la fin du mois de février, nous achetons des poussins d’un jour qui sortent de la couveuse et que nous installons ensuite dans notre ‘poussinière’, un poulailler équipé d’une source de chaleur. Au début, nous les nourrissons sur un papier brun, car celui-ci s’apparente au bruit d’une mère poule picorant le sol. Lorsque les poussins entendent ce bruit, ils commencent immédiatement à manger. Au bout de cinq jours, le papier disparaît et ils reçoivent leur nourriture dans des mangeoires basses. Progressivement, leur espace de vie s’agrandit. Après 35 jours – ils sont de grands ‘adolescents’ et il est alors temps pour eux de découvrir le grand monde. Et vous pouvez prendre cela au pied de la lettre, car le pré où ils peuvent picorer et se défouler est très spacieux. Selon le cahier des charges, chaque poulet de Bresse doit disposer de 10 mètres carrés de pâturage, dans notre cas, ils ont 15 mètres carrés. Ils peuvent toujours entrer et sortir librement, sauf la nuit, où ils s’abritent dans les huttes dont le volet se ferme après le coucher du soleil et se rouvre juste avant l’aube. »

« Dès qu’ils sont dehors, ils cherchent eux-mêmes leur nourriture. A l’intérieur, ils disposent en permanence d’un mélange que nous préparons nous-mêmes et qui est composé de maïs, de blé et de lait, mais… ça ne les intéresse pas plus que cela. Dès l’ouverture de la trappe le matin, ils se ruent dans les prés. L’alimentation est également contrôlée régulièrement par le Comité, tout comme les conditions de vie. »

« Les volailles de Bresse peuvent être aussi bien des poulets (les poulets ordinaires, mâles et femelles), que des poulardes (uniquement des poules femelles qui n’ont pas encore pondu et qui sont à leur apogée en termes de rapport graisse/viande) et des chapons (des chapons mâles âgés en moyenne de 9 mois). Un poulet doit peser 1,6 kilos en moyenne, chez nous ils pèsent entre 2 et 2,2 kilos car nous les laissons se développer à leur rythme pour qu’ils soient au mieux de leur forme. Une poularde doit officiellement peser 1,8 kilos, chez nous elles vont de 2,5 à 2,7 kilos. Nos chapons atteignent les 4 à 5 kilos. »

Qu’est-ce qui fait d’un poulet de Bresse une Glorieuse ?

C’est en 1862 que le concours Les Glorieuses de Bresse est organisé pour la première fois et promeut depuis 160 ans l’unique poulet de Bresse. Le CIVB, présidé par le chef étoilé français de la région Georges Blanc, organise le concours dans les quatre villes de base des poulets de Bresse : Montrevel-en Bresse, Bourg-en Bresse, Pont-de-Vaux et Louhans. A Louhans, nous avons pu suivre le déroulement du concours, où les chapons et poulardes du Devant, joliment ‘roulés’, étaient en lice.

Dimitri : « Nous participons avec nos chapons et nos poulardes. En novembre, une commission se rend dans les fermes et décide du nombre de chapons que vous pouvez vendre. Si ce chiffre est de 300, vous pouvez acheter trois cents timbres uniques. Le nombre de chapons mis en vente est donc strictement réglementé. Le ‘vrai’ chapon est très reconnaissable : il est toujours ‘roulé’, porte un sceau à la patte et le sceau unique sous la peau. On ne le voit pas, mais on le sent. 

« Tous les chapons de Bresse sont ‘effilés’ (dont on a retiré seulement le fil de l’intestin, d’où effilé) et… ‘roulé’ dans un linge. Vous ne pouvez pas acheter un chapon de Bresse – où que ce soit – qui ne soit pas roulé. Nous ne le faisons donc pas seulement pour la compétition. Cette action de ‘rouler’ est une vieille méthode de conservation, le sous-vide avant la lettre en fait. Les poulets sont abattus le long de la gorge, sans laisser passer l’air. Ensuite, le poulet est refroidi et enroulé dans un tissu de lin qui est attaché avec une ficelle comme un corset. Cela prend au moins 20 minutes. Les chapons ordinaires sont serrés une seule fois, ceux de la compétition, plusieurs fois. Pour le concours, l’objectif est d’obtenir la forme d’une ‘goutte’. »

« Le poulet est complètement enveloppé dans le tissu, à l’exception de la tête. En pressant et en roulant, tout l’air est évacué du poulet, et la graisse qui se trouve sous la peau est poussée dans la viande. Ainsi un meilleur mélange s’opère, ce qui signifie que la viande sera plus juteuse. Un avantage supplémentaire est que la durée de conservation passe à 28 jours. Le seul inconvénient, peut-être, est que pour les préparer, il faut les dérouler et en retirer les entrailles soi-même. Cela demande un peu d’adresse, mais dans l’ensemble, ce n’est pas si compliqué. »

« Si tous les chapons sont toujours ‘roulés’, les poulardes, elles, peuvent également être vendues de cette façon, mais ce n’est pas une obligation. Si vous ne pouvez acheter les chapons qu’au courant du mois de décembre, les poulardes ‘effilées’ et ‘roulées’ ou PAC (prêtes à cuire) sont disponibles toute l’année tout comme les simples poulets de Bresse. »

Le concours est un véritable événement, très sérieux, très secret, (le jury ne sait pas qui est l’éleveur), et pour des étrangers comme nous, étrangement fascinant. Outre l’étalage extérieur, les poulets sont également préparés et dégustés, les juges prêtant attention à la succulence de la viande et à la saveur crémeuse. Tous les poulets sont mis en vente pour le public et sont donc largement réservés avant le départ. Qui sait préparerez-vous peut-être une lauréate à Noël ! En ce qui concerne le prix, un chapon de Bresse – ainsi que toute autre volaille de Bresse – est un poulet de premier choix au goût unique. Sur place, ils étaient vendus à 25 euros/kg, chez nous vous paierez facilement le double. Vous pouvez acheter les volailles de la Ferme Le Devant chez Rob à Bruxelles, chez De Laet à Anvers et aux ateliers Dierendonck à Bruxelles, Koksijde, Nieuport et Courtrai. Cette année, le concours à Louhans aura lieu le 17 décembre.

Ferme Le Devant   
ferme-ledevant.fr

Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse
www.pouletdebresse.fr

Photos © Marc-Pieter Devos
Texte : Tine Bral