Gert De Mangeleer et Joachim Boudens ont décidé de fermer les portes de leur restaurant tri-étoilé Hertog Jan et suivent ainsi Sergio Herman (Oud Sluis a fermé ses portes en 2013), Geert Van Hecke (De Karmeliet en 2015), Kobe Desramaults (In de Wulf en 2016), Luc Bellings (Savarin en 2017), Julien Burlat (Dôme en 2016), Thomas Locus (Bistro Margaux en 2016), et la liste ne s’arrête pas là. Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui pousse les chefs étoilés à prendre de telles décisions ?

Nouveaux défis

Certains chefs déclarent vouloir ‘se calmer’, d’autres vont plus loin et affirment que ‘seul un fou continue de faire cela’, d’autres invoquent des raisons familiales tandis que certains souhaitent revenir à l’essence du ‘cuisiner en toute simplicité mais avec talent, pour moins d’argent’.

Outre les raisons individuelles, nous constatons toutefois que le retour à l’essentiel ou le fait de relever de nouveaux défis représentent un motif non négligeable. Et ce phénomène joue un rôle non seulement chez ces chefs étoilés, mais c’est aussi une tendance assez forte sur le marché que d’offrir une qualité supérieure de manière plus informelle et conviviale.

Les restaurants deviennent de plus en plus accessibles et de plus en plus réceptifs aux ‘sharing plates’, aux tapas et aux mezedes, qui procurent un sentiment de ‘cocooning’ et mettent en exergue l’histoire des ingrédients. Nous obtenons une sorte d’équilibre entre le désir de santé du consommateur et un sentiment de luxe. Gert et Joachim souhaitent dans un premier temps se concentrer avant tout sur leur nouveau bar à tapas ‘L. E. S. S.’. à Bruges, mais jouent déjà avec l’idée de “M. O. R. E.”, un restaurant qui doit transcender le niveau de Hertog Jan et, comme ils le disent eux-mêmes, doit devenir ‘very high level’.

C’est également le cas de Kobe Desramaults, qui suite à la fermeture de son établissement, s’est tourné vers Chambre Séparée,  et propose une gastronomie de haut niveau au bar. Par ailleurs, son établissement  De Superette, une boulangerie artisanale, permet également de se restaurer. Nous retrouvons également ce même phénomène chez Geert Van Hecke qui avec son ‘Zet’joe’ a ouvert un restaurant à petit échelle et fit entrer, avec succès, une étoile Michelin au bout d’un an à peine.

Le business model des restaurants étoilés est-il correct ?

Bien que les chefs affirment souvent que oui, la marge de croissance dans le segment de la gastronomie haut de gamme semble être relativement faible ; nous notons des taux de croissance de 1 à 2 pour cent. Les périodes de forte croissance sont derrière nous et les hauts sommets de croissance du passé semblent également révolus. Les chefs ont aussi souvent le sentiment que leur limite est atteinte et qu’ils ne peuvent plus aller plus loin. Ils veulent une approche nouvelle et différente ou souhaitent tous simplement changer d’approche.

La pression que subissent les restaurants étoilés est donc clairement très forte, tant au niveau personnel et familial que professionnel.

Mais le consommateur aussi a changé et est plus enclin à manger à l’extérieur de manière moins informelle, plus détendue, plutôt que ‘pour la galerie’. Le retour à l’essence est une tendance qui se poursuivra à coup sûr pendant encore un certain temps. La plupart du temps, les cuisiniers étoilés se portent plutôt bien, mais ils ont souvent le sentiment de n’avoir plus rien réalisé, alors qu’ils étaient occupés en permanence. Et ils ne sont pas toujours aussi heureux en famille non plus, et dans la profession, le stress augmente de plus en plus.

Il est alors temps de changer de cap et de relever de nouveaux défis ou de faire face à l’épuisement professionnel. La décision ne se prend pas rapidement, mais elle reste toutefois facile à prendre : développer ses compétences à un autre endroit, adopter une approche différente et capitaliser sur ses forces : une gastronomie de haut vol à une échelle plus limitée, plus d’implication dans l’essence même de la profession, et prendre le temps de vivre et d’en profiter à son tour. Quant à la passion : elle demeure, tout comme le besoin de défis, d’excellence, de reconnaissance de leurs compétences et de leur expertise.