2018 sera à jamais une année noire pour la gastronomie. Après avoir perdu Paul Bocuse, nous avons dû dire adieu à notre baron Pierre Romeijer national. Et voilà que le 6 août, Joël Robuchon tire sa révérence à Genève en Suisse à l’âge de 73 ans des suites d’une longue et pénible maladie. Joël Robuchon est né à Poitiers le 7 avril 1945. Le nom de ce chef français apparaissait souvent dans les médias, il était connu dans le monde gastronomique tout entier. Au cours de ses très jeunes années, Joël ne rêvait pas d’officier dans une cuisine. Il entre au petit séminaire à douze ans dans l’espoir de devenir prêtre. Ce qui explique sa confidence lors d’une interview en 2011 : « En ce temps-là, j’aimais bien aider les religieuses en cuisine. C’est ce qui m’a fait découvrir ma véritable vocation à l’âge de quinze ans. C’est à ce moment que j’ai choisi de faire mon apprentissage dans l’hôtel Relais de Poitiers. »

C’était le début d’une carrière remarquable. A 29 ans, il devient Executive Chef à l’Hôtel Concorde La Fayette de Paris. Ensuite, il y ouvre, en 1981, le Café Jasmin qui rafle une étoile Michelin au cours de chacune de ses trois premières années d’existence, c’est historiquement le premier restaurant à avoir accompli cet exploit. Huit ans plus tard, Robuchon se voit discerner la distinction de ’Chef du Siècle’ par le Gault&Millau. Le Restaurant Joël Robuchon est inauguré en 1994, marquant le coup d’envoi d’une chaîne de restaurants qui a répandu sa cuisine à travers trois continents. A partir de 2001, des restaurants fleurissent à Macao, quatre à Tokyo, encore deux à Paris, d’autres à Monaco, Las Vegas, New York (qui fermera toutefois en 2012), deux à Londres, deux à Hongkong, sans parler de Taipei, Singapour (vendu en juin de cette année), Bangkok, Shanghai, et peut-être en ai-je encore oublié un. En tout, Joël Robuchon possédait 39 établissements, qu’ils soient restaurants de classe ou clubs. En 2016, il pulvérise le record mondial en remportant sa 32étoile au Michelin et en 2018, son empire totalise encore 31 étoiles, 5 de ses restaurants pouvant se targuer d’en avoir trois chacun. Il reste à ce jour inégalé.

Joël Robuchon déclarait en 2014 à propos de sa cuisine : « Plus je vieillis, plus je réalise quelle vérité se cache derrière la gastronomie : plus les aliments sont simples, plus exceptionnel peut être le résultat. » Et de continuer : « J’essaie de ne jamais associer plus de trois saveurs de base dans un même plat. Lorsque j’entre dans une cuisine, les plats et les ingrédients qui le composent doivent être facilement identifiables. » Nous ne pourrions mieux décrire l’héritage laissé au monde gastronomique par Robuchon. Le client aime savoir ce qui se trouve dans son assiette et goûter les saveurs de ce qu’il voit. S’il n’y avait qu’un exemple à donner : Joël Robuchon a élevé un plat aussi ’simple’ que la purée de pommes de terre (avec vraiment beaucoup de beurre) à un niveau particulièrement haut. « Je dois bien reconnaître que ma purée de pommes de terre a fait ma réputation », a-t-il un jour déclaré au cours d’une démonstration de ce plat presque liquide. « Peut-être son succès se trouve-t-il dans la nostalgie : chacun se souvient de la purée de sa maman ou de sa grand-mère. » Cela dit, sa tarte aux truffes, sa crème de chou-fleur au caviar et son ravioli de langoustines ont eux aussi fait le tour du monde.

Nous garderons aussi Joël Robuchon en mémoire pour sa rébellion pleine et entière contre la rigidité poussiéreuse dans laquelle s’enlisait la grande gastronomie dans de nombreux restaurants français. D’ailleurs, tout ce remue-ménage snobinard et stressant autour des ’listes des meilleurs restaurants’ le laissait de marbre. Pour lui, les saveurs et les belles portions étaient bien plus importantes qu’une cotation donnée sur base de nappes bien amidonnées et repassées. Le monde culinaire entier avait été frappé d’effroi lorsque Joël Robuchon avait annoncé qu’il mettait fin à ses activités à l’âge de 51 ans. La vie de famille et les joies de la nature avaient pris le pas sur les attraits de la cuisine. « Je passe mon temps en cuisine depuis ma 15e année, il faut savoir quand le temps d’arrêter est arrivé », avait-t-il dit à l’époque. Mais cet intermède n’aura été que de courte durée. Quelques années plus tard, il retournait en cuisine avec de nouvelles idées : l’accent serait dorénavant mis sur la communauté et la restauration socialement responsable. Bon nombre des restaurants qu’il a ensuite ouverts ont été baptisés ’Atelier’, des établissements intimistes où les hôtes s’installent au comptoir entourant la cuisine.

Alors laissons à Joël Robuchon, perfectionniste de la simplicité, le dernier mot.