L’approvisionnement durable n’est pas un luxe ou un effet de mode. C’est une nécessité stratégique, environnementale et économique. Il engage toute la chaîne de valeur — du producteur au consommateur — et redéfinit le rôle du restaurateur : artisan du goût, gestionnaire éclairé et acteur du changement. C’est par l’assiette que se dessine, chaque jour, une société plus juste, plus résiliente et plus savoureuse.
Réduire l’empreinte écologique de la restauration tout en garantissant la qualité des produits nécessite une réflexion approfondie sur l’origine des matières premières, la gestion des stocks et la collaboration avec des fournisseurs engagés. Au-delà d’une tendance, il s’agit d’un véritable levier économique et marketing, qui permet de conjuguer éthique et rentabilité. Julien Bertrand-Aubin, conseiller en restauration durable, partage son expertise pour mettre en place un approvisionnement vertueux et durable.
Limiter les transports, valoriser les territoires
La réduction de l’empreinte carbone est un axe central de l’approvisionnement durable, à commencer par les distances parcourues par les produits. Importer des aliments de l’autre bout du monde génère un coût écologique considérable en raison du transport maritime et aérien. En privilégiant des fournisseurs locaux, les restaurateurs réduisent leur impact environnemental tout en gagnant en traçabilité.
Travailler avec des producteurs de proximité favorise également l’économie locale et permet de soutenir des exploitations à taille humaine, souvent plus soucieuses de leurs pratiques. Ce lien direct entre restaurateurs et producteurs permet d’assurer une rémunération plus juste aux agriculteurs et éleveurs. Acheter local, c’est ainsi participer à un écosystème vertueux, où la valeur créée développe le territoire !
Des produits frais, bruts et de saison
Les produits locaux, récoltés à maturité et livrés en circuit court, conservent toutes leurs qualités gustatives et nutritionnelles. En adaptant la carte aux saisons, il est ainsi possible de sublimer ce que la nature offre de meilleur et d’éviter de recourir aux cultures sous serre ou aux importations énergivores. Travailler des produits bruts et de saison permet également de s’approvisionner à moindre coût, en comparaison aux produits transformés.
Julien Bertrand-Aubin évoque les paroles du chef Alain Passard : « Derrière chaque morceau de viande, il y a une vie sacrifiée, et derrière chaque légume, le travail d’un paysan. […] Ce n’est pas toi qui décides de ce que tu fais du produit, c’est le produit qui te dit ce que tu peux faire de lui. » Une approche qui invite à écouter la nature plutôt qu’à la contraindre, et qui remet chaque ingrédient – et chaque acteur de la chaîne alimentaire – au centre de la réflexion culinaire.
S’entourer de fournisseurs responsables
L’approvisionnement durable passe par le choix de partenaires alignés avec les valeurs de l’établissement écoresponsable. Cela signifie privilégier des grossistes et des producteurs engagés, proposant des produits labellisés de qualité et issus de circuits de distribution durables, notamment avec des producteurs situés en Belgique ou dans les régions frontalières.
Le circuit court permet de réduire les intermédiaires, ce qui favorise une rémunération plus juste pour les producteurs et d’éviter les fluctuations de prix. Établir des partenariats durables permet ainsi de stabiliser les prix, d’assurer une continuité d’approvisionnement et d’avoir un dialogue direct en cas d’imprévu. Le restaurateur peut mettre en place cette transition pas à pas : il doit plus que jamais être aussi un gestionnaire, rigoureux sur les coûts et maîtrisant les achats, les marges et les stocks.
Labels et certifications : une garantie pour tous
Les labels offrent des garanties sérieuses sur les pratiques agricoles, la protection de l’environnement et la juste rémunération des producteurs, tout comme le label Biogarantie Belgium ou encore le Label ‘Eurofeuille’, certifiant les produits bios à l’échelle européenne. Il est possible de se tourner vers les producteurs engagés des pays frontaliers, comme la France et les produits labellisés Agriculture Biologique (AB).
Il est intéressant d’établir des partenariats avec des fournisseurs engagés pour une agriculture durable. L’agriculture biologique repose sur le respect des cycles naturels, limitant pesticides et engrais chimiques, tout en favorisant la biodiversité et en préservant la qualité des sols et de l’eau. Elle répond aux attentes croissantes des consommateurs en quête d’aliments sains, éthiques et traçables.
Un positionnement qui fait sens
Les consommateurs sont attentifs et sensibles à l’origine et à la qualité des produits. Pourtant, beaucoup de clients ne connaissent plus le cycle des saisons pour chaque produit. Leur faire redécouvrir ce rythme naturel à travers une carte courte et adaptée permet de justifier certains choix, de valoriser le produit du champ à l’assiette et de redonner du sens à l’acte de manger.
Par ailleurs, le flexitarisme et le végétarisme sont des régimes alimentaires de plus en plus adoptés ces dernières années et les labels ‘clean’ séduisent une large clientèle soucieuse de son impact environnemental. Adopter des démarches vertueuses dès la chaîne d’approvisionnement permet ainsi de sortir des codes traditionnels, tout en séduisant une clientèle engagée et en maintenant l’équilibre économique de votre établissement.
Nouvelle cuisine et nouvelle carte
L’approvisionnement durable transforme profondément la manière dont les chefs conçoivent leurs menus. La tendance est aux menus hebdomadaires conçus pour s’adapter au rythme des saisons et des arrivages. Certains établissements adoptent une ardoise avec 3 entrées, 3 plats, 3 desserts. D’autres privilégient la présentation orale, supprimant l’impression papier, limitant le gaspillage alimentaire et ajustant l’offre en temps réel.
Ce fonctionnement permet de mieux gérer les achats, de limiter les pertes et de répondre aux contraintes alimentaires en amont. Cette approche souple et consciente répond aux attentes d’un client désormais prêt à entendre : « il n’y en a plus de ce produit aujourd’hui ». Non plus perçu comme un échec, ce message devient un gage de fraîcheur et d’engagement !
Savoir-faire et faire savoir
Dans une démarche durable, la communication devient un véritable outil de différenciation. Mettre en avant ses engagements sur un site internet et des réseaux sociaux permet de créer une image de marque forte et sincère. Valoriser les producteurs sur vos menus, raconter leur histoire et expliquer vos choix : tout cela contribue à créer une relation de confiance avec le client et à le fidéliser.
Communiquer, c’est aussi faire de la pédagogie : expliquer pourquoi un plat change, pourquoi un produit n’est pas disponible ou pourquoi une tomate n’est pas servie en février, c’est montrer que derrière chaque choix se cache une logique, une éthique et des valeurs. L’engagement de votre établissement devient alors bien plus qu’un simple argument de vente.
Responsabilité et traçabilité
Adopter une approche durable implique l’ensemble de l’équipe de l’établissement : former les collaborateurs dans cette transition est essentiel, elle favorise également l’adhésion et renforce la cohésion. Elle dessine les contours d’une restauration à la fois responsable, résiliente et cohérente. Dans un secteur en tension, un engagement fort est aussi un levier pour attirer et fidéliser les talents.
Des avancées technologiques, comme la blockchain, ouvrent de nouvelles perspectives pour la traçabilité. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations, à la fois sécurisée et transparente, fonctionne comme un registre numérique infalsifiable partagé entre plusieurs acteurs. Appliquée au secteur de l’Horeca, la blockchain pourrait à terme garantir une traçabilité fiable de l’ensemble des produits alimentaires et plats servis, du champ à l’assiette.
[ Eugénie Pagot ]