Inventif, créatif, ludique, audacieux, innovant, voilà comment résumer ce que fait Julius Persoone avec et autour du chocolat. Le praliné d’amandes crunchy truffé de morceaux de lard grillé et de rillons caramélisés croustillants qu’il a conçu pour son ami Timon Michiels de Carcasse est une bombe de saveurs qui donne envie d’en redemander.

Des saveurs passionnantes

Julius : « Timon m’a demandé, en ami, si je pouvais imaginer une praline qui conviendrait à Carcasse (le restaurant de viande d’Hendrik Dierendonck, ndr). J’ai réalisé une série de tests et me suis inspiré d’une précédente praline au lard et quinoa. Je n’étais pas convaincu à 100%, le quinoa ne cadrait pas avec l’histoire, il était plutôt ‘boring’ (ennuyeux). Nous avons alors ajouté des rillons caramélisés et avons soudain obtenu une praline super savoureuse et passionnante. Une pincée de sel de mer a également été incorporée à la garniture de lard et de rillons, pour un mordant légèrement gras et salé. L’enveloppe est composée de 45% de chocolat au lait d’origine vietnamienne, car nous avons trouvé que le caractère gras du chocolat au lait se mariait à merveille avec la garniture. »

« L’idée de fermenter les produits m’est venue parce que j’ai vu que dans notre quartier (nous habitons à Damme) de nombreux agriculteurs se débarrassaient de leurs fruits et légumes invendus au début de l’automne, à des prix très bas, auprès de multinationales. Il est vrai que les pâtissiers et les chocolatiers transforment aussi les framboises, les fraises, les fruits de la passion… en hiver à la demande des clients alors qu’en fait leur saison est l’été. Ils doivent donc les importer de très loin. C’est absurde ! Nous avons tellement de beaux produits ici ! Dès que les fraises sont arrivées, j’ai commencé à faire fermenter celles qui me restaient. Le résultat fut époustouflant ! Après deux mois, se dégageait un fort goût umami de parmesan-fraise. En ajoutant certains sucres, vous obtenez alors un très bel équilibre et une belle profondeur à la garniture de votre praline.

« C’est de cette manière que nous avons commencé. Entre-temps, nous faisons également fermenter une panoplie d’autres fruits et légumes qui font la part belle aux garnitures. Je peux dire que presque tous les chocolats de notre gamme contiennent un ingrédient fermenté. On ne le goûte pas vraiment, mais il confère ce petit plus à la saveur.

« J’avais l’habitude de cultiver de nombreuses variétés de tomates dont je conservais à chaque fois les graines. Je les ai données à un agriculteur biologique qui s’occupe à présent de cultiver les tomates. Ces tomates, nous les faisons fermenter, ce qui donne un résultat en deux parties : au fond la pulpe de tomate, en haut le liquide de tomate clair. A partir de ce liquide, j’ai fait un gel et y ai incorporé une ganache à base de pâte de cacao provenant de notre propre plantation au Mexique, de l’huile d’olive et du basilic thaïlandais. Lorsque vous mordez dans la praline, c’est d’abord l’eau de tomate fermentée translucide qui coule dans votre bouche, puis l’huile d’olive, le chocolat et le basilic. La coloration du chocolat est faite à partir du pigment fermenté de la tomate. L’ensemble est parfait, nous avons tout élaboré nous-mêmes, ce qui est important pour moi.

« Pour Pâques, nous avons conçu un petit œuf préparé avec une ganache de verveine, qui pousse ici sur notre toit, un caramel de carottes fermentées et du sel. Résultat : une praline à la saveur de carottes salées absolument délicieuse. »

« Dans la praline pavillon, nous utilisons, en plus des zestes et du jus d’orange, la pulpe que nous avons laissé fermenter pendant deux mois. »

Fermentation : passion et science

Julius : « Nous avons beaucoup testé, nous le faisons encore, et oui (rires) parfois les bocaux ont explosé. Derrière la fermentation, il y a une théorie assez poussée que vous devez maîtriser avant de pouvoir vous laisser aller à des expérimentations. (rires) Je regrette de ne pas avoir été plus attentif en cours de physique et de chimie à l’école, car aujourd’hui, je m’en sers presque tous les jours. La fermentation ne consiste pas à simplement ‘faire quelque chose’, elle peut avoir de grandes conséquences. L’environnement a son importance, la température qu’il fait ce jour-là a son importance, votre pourcentage de sel a son importance, le pourcentage de sucre dans votre fruit a son importance… en mesurant la teneur en sucre, vous pouvez savoir quelle est le degré d’activité que le fruit contient. Si vous pigez le truc, vous ne risquez pas grand-chose. Désormais, nous avons quelqu’un qui s’occupe juste de démarrer les fermentations, de les contrôler, de noter l’évolution, bref de s’assurer que tout se passe bien. Nous travaillons également avec un laboratoire qui revérifie tout pour nous. »

« Je vois le chocolat comme un ingrédient, mais il n’est pas l’ingrédient principal, juste une base, un support, à partir duquel on peut commencer. Nous travaillons sur les différents parfums et arômes du chocolat pour que tout s’équilibre bien. Il faut toujours utiliser le bon chocolat. Pour la praline à la carotte, qui est plutôt sucrée, je ne vais pas utiliser un chocolat très acide, mais un chocolat qui soutient bien le tout.

The Chocolate Line 2.0

Julius : « Après ma formation de chef à Ter Groene Poorte, j’ai suivi l’Université du chocolat ici, puis j’ai étudié en Amérique à la Chocolat and Pastry Academy de Las Vegas. Tout cela m’a permis d’avoir une approche unique de tout ce qui tourne autour du chocolat.

« De retour ici, j’ai commencé à travailler sur la ligne de production de la Chocolat Line (soupirs et rires), puis je me suis embrouillé avec l’ancienne équipe de mon père parce que je voulais travailler d’une manière différente. C’était le corona et… toute l’équipe est partie, ils trouvaient qu’il était temps de laisser la place à la nouvelle génération. Tout à coup, je me suis retrouvé tout seul avec toutes mes idées fantastiquement innovantes. J’en ai un peu bavé. Mon père estimait que je n’avais qu’à me débrouiller. J’ai parlé à mes contacts dans le monde culinaire – tous les chefs qui s’intéressaient à la pâtisserie et au chocolat – et des gens sont immédiatement arrivés de l’autre bout du monde. Nous travaillons à présent avec une équipe très internationale : des gens du Noma, du Brésil, d’Alex Atala, l’ancien chef pâtissier du In De Wulf de Kobe Desramault,… En rassemblant nos idées, nous sommes arrivés à une vision d’avenir, la direction dans laquelle nous voulons travailler, le niveau que nous voulons atteindre.

« Nous jouissons d’une belle popularité, je reçois trois demandes par jour de personnes qui souhaitent venir travailler ici et la liste d’attente de stagiaires voulant venir se former chez nous s’allonge tous les jours. Et puis, il y a le prix que nous avons reçu de Gault&Millau, celui du ‘Meilleur Chocolatier de l’Année 2023’. Notre prochain objectif : figurer dans la liste des 50 meilleurs chocolatiers du monde aux Chocolat awards ! »

« Nous sommes encore en phase de développement, ce n’est pas encore à 100% ce que je veux. De nouvelles machines arrivent pour produire encore mieux. Une machine à ultrasons qui va secouer si fort que les molécules du produit se cassent, ce qui donne une saveur 25% plus puissante. Il y a aussi la cabine d’auto-peinture où l’on peut donner à nos chocolats et à nos pralines une touche très personnelle et légèrement excentrique. C’est du pur graffiti, top quoi !

« Toute une série de tests sont également en cours, ici et dans notre plantation au Mexique. Nous voulons y cultiver tous nos fruits exotiques. La cannelle et la vanille proviennent déjà de là-bas. Tous nos autres fruits – framboises, fraises, cerises, … – proviennent d’agriculteurs locaux qui travaillent ici dans les environs. 

« Certains tests sont finalisés et les chocolats qui en résultent sont dès à présent en vente dans la boutique. Les classiques resteront, bien sûr, mais c’est cool de proposer de nouvelles choses ‘funky’ de temps en temps. C’est aussi beaucoup plus logique. Nous travaillerons davantage comme dans un restaurant, plus en fonction des saisons. »

[ Tine Bral ]