Une onde de choc a traversé le monde culinaire belge lorsqu’au début de l’année dernière, Peter et Lieve Goossens ont annoncé qu’ils quittaient le Hof van Cleve, leur restaurant trois étoiles, pour le céder à leur chef Floris Van Der Veken. En coulisses, le jeune chef qui, pendant plus de 10 ans, a œuvré à forger l’ADN du Hof van Cleve en sa qualité de bras droit de Peter Goossens y réfléchissait depuis plus d’un an. Floris voulait son propre restaurant, c’était une certitude, mais de là à reprendre ce restaurant trois étoiles emblématique… Une discussion inspirante après sa première semaine ‘seul maître à bord’.

Un lieu unique

Floris : « Ce fut certes assez difficile, mais tellement gratifiant de voir notre équipe à l’œuvre. Tout le monde se donne à 200 % !

« L’équipe de base est restée la même, avec, toutefois, quelques extras, tant en salle qu’en cuisine, ce qui corse la situation. Peter et Lieve formaient un véritable duo de choc et nous ne pouvons pas les remplacer du jour au lendemain. Pour moi, il n’est pas nécessaire de gérer un établissement en ‘couple’. Notre hôtesse est Céline Vandenberghe qui travaillait en salle aux côtés de Lieve depuis 5 ans. Serge Sierens, notre maître d’hôtel, est ici depuis 20 ans ; dès lors, il connaît le Hof van Cleve et, surtout, ses clients sur le bout des doigts. Ensemble, ils font de l’équipe de salle une machine bien huilée. Dans la cuisine, nous sommes 6 pour le moment, mais j’aimerais revenir à 10. Les fonctions que j’ai exercées pendant 10 ans aux côtés de Peter sont désormais assurées par Laurence De Smet, notre cheffe. »

« Je savais que le sommelier Tom Ieven allait quitter le Hof van Cleve et nous nous sommes mis en quête d’un remplaçant ensemble. Le monde des sommeliers est petit et Elizio Masson s’est imposé comme une évidence. S’il n’a que 19 ans, il brille par l’étendue de ses connaissances tant il est passionné. Ses accords surprennent et subliment parfaitement nos mets. Il s’intègre parfaitement dans notre jeune équipe. »

« Bien sûr, j’ai hésité. J’en ai beaucoup parlé avant de prendre ma décision. Avec Peter et Lieve, mais aussi avec des conseillers extérieurs. J’étais en pleins préparatifs pour lancer mon propre restaurant. Reprendre le nom et la marque de Peter Goossens ne me semblait guère évident, voire impossible, mais Peter a réussi à me convaincre. (il réfléchit un moment) Ce lieu et cette propriété sont vraiment uniques et ont penché dans la balance…. où peut-on encore trouver cela ? »

« (pensif) Entreprendre comporte des risques, surtout de nos jours. Il s’agit d’une entreprise – un restaurant, en l’occurrence – que je reprends. Garder l’équipe en place était un atout indéniable. Je sais comment gérer un établissement Horeca, je n’y voyais donc pas de problème et… Peter était ABSOLUMENT convaincu que j’étais la bonne personne pour reprendre le Hof van Cleve. Cela fait dix ans que je participe au style du Hof van Cleve, que j’élabore les menus avec Peter. (un peu vivement) J’en entends qui disent que c’est la même chose qu’avant… Et bien oui, j’étais déjà derrière les plats qu’on leur servait à l’époque. Bien sûr, je vais apporter des changements, mais je pense qu’au début, la continuité est importante. D’ailleurs, lors de l’annonce de la reprise, nous avons été très clairs sur la question : il y aurait une continuité. Mon but n’était pas du tout de rompre d’un coup avec la tradition, de tout changer du jour au lendemain. Innover en douceur, faire les choses à ma façon, voilà ce que je veux. »

« Les prix ! (il rit) Oui, il y avait matière à réflexion. J’ai fixé mes tarifs pour préserver la rentabilité sans lésiner sur la qualité, sans faire de compromis. Nous avons procédé à quelques remaniements : nous avons supprimé 2 mises en bouche, 2 pains et 2 tartes. Les convives ne semblent pas s’en plaindre. »

Nouveau cadre

La cuisine et l’intérieur ont été rénovés pendant les courtes vacances de fin d’année, une prouesse en période de fêtes.

Floris : « J’ai rénové la cuisine avec mes fonds propres, c’est donc ma propriété, mais le bâtiment appartient toujours à Peter. J’estimais qu’il était très important de rénover la cuisine. La structure est restée, on ne pouvait y toucher car l’immeuble a un certain âge. Bossuyt Keukens a fait un travail remarquable dans le court laps de temps qui lui était imparti. Tout est en acier inoxydable et fabriqué sur mesure. La cuisine froide est dotée d’une nouvelle chambre froide, d’un nouveau congélateur et de nouveaux éviers. Dans la cuisine chaude, seules les hottes aspirantes ont été conservées. Une partie est à induction, mais j’ai délibérément gardé le gaz aussi. J’aime cuisiner à la flamme (il rit) et l’atmosphère deviendrait si froide ici, sans la chaleur des becs à gaz »

« Quant à la décoration intérieure, elle nous a pris plus de temps. Tout est sur mesure. Les meubles de Matco, les chaises de Collid’or, deux entreprises de Gavere. Le tapis noué à la main est de Thibault Van Renne, de Knokke. Les imprimés, la stratégie de marque et les réseaux sociaux sont assurés par Brand Bites de Sam D’Huyvetter, un collègue gantois. (avec enthousiasme) J’aime travailler avec des amis, sachant que nous sommes sur la même longueur d’onde et tout aussi passionnés. »

« L’art est très important pour moi. Cependant, il doit rester un complément agréable à l’ensemble, et ne pas prendre le dessus sur l’espace, car l’important reste ce que l’on a dans l’assiette. Le conservateur Kris Martin privilégie les jeunes artistes belges. Cette année, c’est Cédric Van Parys qui présentera un ensemble assez complexe de photographies, de dessins et de sculptures derrière lesquels se cache une histoire. »

« L’équipe en salle est habillée par Lisa Deridder de Lost in Pablos de Gand, qui est aussi une de nos amies. Les dames portent également un tailleur pantalon avec un chemisier et un nœud papillon original. En hiver, les hommes portent un col roulé ; dès le printemps, il cèdera la place à une chemise. Ils portent une couleur foncée pour des raisons purement pratiques (il rit) : sur les couleurs claires, on voit vite les taches. Le tissu contient un pourcentage de stretch car l’équipe doit se sentir à l’aise, dans une tenue qui accompagne leurs mouvements. »

Michelin

Floris : « Oui, c’est pour février. Je suis impatient d’y être, mais je n’en fais pas une obsession. Bien sûr, j’aimerais compter à nouveau parmi les restaurants étoilés, car, en fin de compte, nous misons sur la continuité. Le plus important est néanmoins que les clients soient satisfaits et qu’ils apprécient ce que nous faisons, ce que nous leur proposons dans l’assiette. Je sais très bien où je veux arriver. (en riant) Il n’est pas question de loisirs pour le moment. Il ne nous reste plus d’énergie pour faire quoi que ce soit, hormis souffler devant la télévision. »

[ Tine Bral ]