J’ai le plaisir de rencontrer aujourd’hui Geoffrey Adam, un homme de peu de mots mais un puits de connaissances. Moi-même, si j’ai une question pressante sur la Bourgogne, le Jura, la Champagne, et j’en passe, j’appelle Geoffrey car je sais qu’il saura sûrement me répondre. Il y a de ces sommeliers d’exception qui ne participent pas aux concours et restent loin de l’intérêt du public, mais font impression dès qu’on a la chance de leur parler. Geoffrey est l’une de ces personnes qui m’intriguent et, chaque fois que je le croise, je suis émerveillé par l’étendue de son savoir. Aujourd’hui, il s’est installé en cuisine et, à la fois chef et sommelier, il exploite le restaurant ‘Tablavin’ à Knokke, secondé par sa femme Pamela. Plus de raisons qu’il n’en faut pour consacrer cette rubrique à la côte.
« Jardin Tropical était un magnifique restaurant étoilé à Knokke où j’ai été sommelier pendant 15 ans. Lorsque nous avons repris le flambeau, nous cherchions un nouveau nom. Notre activité étant principalement axée sur les vins, le nom Tablavin était tout trouvé. Ce nom évoque en réalité un guéridon à vin », explique Geoffrey. « Ce qui était formidable, à l’époque du Jardin, c’est que les patrons, Evy Hobbyns et Christophe Van Den Berghe, m’avaient donné carte blanche. Pendant toutes ces années, j’ai pu acheter sans limites et constituer la carte des vins. Ma femme et moi avions à l’époque l’ambition d’ouvrir notre propre établissement. Nous étions le visage de l’établissement parce que nous étions tous deux en salle. Lorsque nous avons repris le restaurant, en 2019, nous avons donc joué la carte de la continuité et tous les habitués nous connaissaient déjà. » Il poursuit. « Le personnel de cuisine est resté, mais pas longtemps (rires). Mon chef voulait voir le monde et est parti en time-break pendant un moment mais il n’est jamais revenu (rires).
Du coup, je me retrouve moi-même aux fourneaux depuis deux ans. Heureusement, c’était le plan B dès le départ. À l’école hôtelière de Spa-Heusy (Cantons de l’Est), j’avais appris la cuisine et la salle, mais je devais encore m’adapter car je n’avais pratiquement aucune expérience en cuisine. Le plus marrant dans cette histoire, c’est que nous avons décroché un demi-point de plus au Gault-Millau qu’à l’époque de notre chef (rires). Après 20 ans de sommellerie, les clients comptent naturellement toujours sur mes conseils et je passe sans cesse de la salle en cuisine et inversement. C’est de la folie, naturellement, car nous sommes aussi connus comme un véritable restaurant ‘à la carte’. »
Chacun interprète différemment les raisons pour lesquelles il aime séjourner à Knokke, mais supposons que ce soit la gastronomie, pourquoi devrions-nous réserver chez Tablavin ?
« L’une de nos spécialités est un ris de veau croustillant pour lequel les clients reviennent très souvent. Nous avons toujours au menu un beau morceau de turbot avec une garniture de saison, ainsi qu’un poisson de la mer du Nord moins connu. Nous voulons nous démarquer un peu des restaurants classiques de la côte qui ne proposent que du cabillaud et de la sole. Notre carte des vins est toujours basée sur celle du Jardin-Tropical. Grâce aux années passées à constituer cette cave, nous pouvons vraiment affirmer aujourd’hui que nous sommes un restaurant à vins qui compte aussi de vieux millésimes. Notre carte propose des vignerons puristes triés sur le volet et nous servons non moins de 30 vins au verre tout au long de l’année, briguant ainsi une place parmi les meilleures adresses de la côte ».
« Avec tout ce poisson, un bon vin s’impose. Et si nous goûtions notre Domaine Marguerite Carillon, Bourgogne Aligoté 2022. »
Les yeux fermés : les souvenirs du chef
« Certainement, l’Aligoté a toujours été pour moi l’enfant terrible de la Bourgogne, avec moins de raffinement et plus d’acidité que son grand frère, le chardonnay. À l’époque, l’Aligoté était fait pour être associé à du sucre (Crème de Cassis de Dijon) etc. mais rarement pour être bu tel quel. Au cours des deux dernières décennies, la tendance s’est inversée et les meilleurs vignerons se sont associés pour prendre leurs distances du style vert de l’aligoté. ‘Les Aligoteurs’ ambitionnent ainsi de remettre l’Aligoté à la carte comme un cépage à part entière avec des vins qui se justifient dans la gastronomie. Désormais, l’aligoté est devenu un cépage pour le sommelier et la nouvelle tendance après le Grüner-Veltliner autrichien. »
Nous dégustons et laissons la parole à Geoffrey
« À l’ouverture, j’ai tout de suite perçu les arômes délicats d’un aligoté très frais, un vin très reconnaissable par son cépage et son terroir d’origine. La couleur légèrement plus pâle aux reflets verts est propre au cépage dans sa jeunesse. En prenant de la bouteille, il peut devenir un peu plus jaune. Au nez, je reconnais surtout une fraîcheur d’agrumes avec des arômes de citron vert et de pamplemousse. Certainement aussi quelques notes florales comme de jeunes fleurs de printemps. Il est plutôt discret au premier nez mais, après avoir fait tourner le vin dans le verre, son bouquet commence à s’exprimer lentement. C’est un parfum agréable, aux fruits verts acides et aux baies juteuses. »
« En bouche, nous sommes toujours sur un style vif avec beaucoup de fraîcheur. En milieu de bouche, je reconnais une vinification fine et maîtrisée. On sent qu’ils ont recherché la finesse plutôt que la puissance. Un vin idéal qui plaît à tous, très polyvalent en gastronomie. Je l’imagine très bien avec des plats de poissons crus comme le ceviche, la salade fraîche de calamars, les langoustines, le carpaccio de poisson etc. Je pense aussi le servir simplement à l’apéritif, sans cassis (rires), accompagné de quelques amuse-bouche salés comme des toasts aux anchois et du tartare de poisson et le déguster en terrasse avec quelques amis. »
Les yeux ouverts : le parfait pairing
« En accord, je pense dès lors d’emblée à le servir plutôt avec l’entrée qu’avec le plat principal. Je me suis donc inspiré d’une salade de crabe, mais je l’ai complètement revisitée en une Salade de crabe royal au Kimchi, à l’aneth et au caviar de citron. Le Crabe royal précuit est décortiqué et sa chair est alors effilochée comme du pulled-pork. On y ajoute du poivre et de la fleur de sel ainsi que de fins zestes de citrons et de citrons verts bio (micro-blade). Nous préparons aussi nous-mêmes notre Kimchi, mais il est naturellement possible de le trouver dans le commerce. Nous allons mixer le Kimchi et le passer au tamis. Nous le mélangerons ensuite avec une mayonnaise maison faite aux œufs frais sans vinaigre. Nous y ajouterons un peu de Siracha de chili, pour donner au plat un peu plus de piquant, ainsi qu’un peu de vinaigre de Sushi. Ce mélange accompagnera alors le crabe. Nous y ajouterons ensuite du sarrasin soufflé pour donner un peu de croquant. Tout à la fin, nous l’agrémenterons d’un peu de caviar de citron et d’aneth pour donner un peu plus de fraîcheur. L’assiette sera dressée avec quelques feuilles de mesclun et des œufs de saumon en guise de garniture. Les toasts chauds sont naturellement les bienvenus… Bon appétit ! »
[ Andy De Brouwer ]