A l’occasion de la fête annuelle de la tapa organisée le 26 juin dans le monde entier, Horeca Magazine a eu l’occasion d’interviewer Monsieur Alberto Antón, Ambassadeur d’Espagne en Belgique.

Señor Antón, en quelques mots, quel a été votre parcours avant d’arriver en Belgique ?
Mon parcours professionnel a été varié et intéressant. J’ai occupé des postes tant en Espagne qu’à l’étranger, en Tanzanie, au Mexique, au Maroc et en Tunisie, auprès de l’Union européenne et en Asie centrale (Kazakhstan Kirghizstan et Tadjikistan). J’ai également contribué à la formation des nouvelles promotions de diplomates en tant que Directeur de l’École diplomatique espagnole. Je suis ravi d’occuper à nouveau un poste à Bruxelles, pour la deuxième fois dans ma carrière, et cette-fois comme Ambassadeur d’Espagne auprès du Royaume de Belgique.

Comment intégrez-vous la gastronomie dans votre démarche diplomatique ?
Je m’intéresse beaucoup aux personnes. C’est par les gens qu’on apprend, plus que dans les manuels. J’attache une grande importance à la diplomatie publique et, par conséquent, à la diplomatie gastronomique qui en fait partie. Bien que le concept de ‘diplomatie gastronomique’ n’ait commencé à être utilisé qu’au début de ce siècle, ses racines remontent à la nuit des temps : inviter et recevoir autour de la nourriture d’une nation, d’un peuple ou d’une tribu est une pratique humaine millénaire. Il se dit que la gastro-diplomatie se fonde sur la notion que « la manière la plus simple de gagner les cœurs et les esprits est par l’estomac ».

La gastronomie est-elle l’un des moteurs de développement du tourisme ?
La gastronomie est un élément clé de la culture d’un pays. En juin 2021, le premier ‘Manuel Espagnol de la Diplomatie Gastronomique’ fut présenté. Ce document mettait en avant les actions déjà réalisées et proposait de nouvelles lignes d’action pour générer de nouvelles opportunités et la promotion internationale de la cuisine espagnole. Avec ce manuel, l’Espagne s’alignait aux cotés des pays tels que le Japon, la Thaïlande, la France ou le Pérou, qui disposaient déjà d’une stratégie similaire.

La gastronomie dans son sens le plus large est la somme d’un ensemble d’activités qui englobent une partie substantielle de notre économie et sont des moteurs importants : la production agricole, l’élevage ou la pêche ; l’industrie de l’alimentation et des boissons ; le commerce en gros et de détail de marchandises pour le consommateur et l’hôtellerie, l’import-export, et enfin l’hôtellerie dans toutes ses variantes.

Il ne fait aucun doute que la gastronomie et le tourisme se trouvent étroitement liés. Et ce qui semble clair c’est que la gastronomie espagnole est une attraction touristique en soi. C’est précisément pour cette raison que nous devons continuer à promouvoir la gastronomie espagnole, en général, et l’Espagne en tant que destination gastronomique, en particulier. Surtout en tenant compte du fait que le produit touristique ‘gastronomie’ permet de contribuer spécialement à la durabilité du tourisme, avec lequel l’Espagne est fortement engagée.

Les initiatives de promotion touristique basées sur la gastronomie sont nombreuses et Turespaña, l’organisme chargé de promouvoir l´Espagne en tant que destination touristique à l’étranger, y joue un rôle important. En plus de la Journée des ‘Tapas’, par exemple, nous célébrons également la Journée Mondiale de la ‘Paella’ et organisons de nombreuses activités d’œnotourisme.

Des organisations comme l’Académie Royale de Gastronomie travaillent aussi à diffuser et à protéger la culture gastronomique espagnole. Il existe également la marque ‘Saborea España’, une plateforme avec un soutien institutionnel composée de cinq partenaires, dont ‘Paradores’, qui cherche à transformer les produits gastronomiques en expériences touristiques de grande valeur et uniques.

La gastronomie espagnole est reconnue comme l’une des meilleures au monde, comment expliquez-vous que les restaurants espagnols ne soient pas plus nombreux en Belgique ?
En effet, la gastronomie espagnole a été évaluée par le guide culinaire international TasteAtlas comme la troisième meilleure au monde. En 2023, le Guide Michelin décerne une étoile à 250 restaurants espagnols : 203 restaurants reçoivent une étoile, 34 deux étoiles et 13 trois étoiles Michelin.

Si la gastronomie espagnole actuelle est une cuisine ouverte au monde, il ne faut pas oublier une chose invariable dans la tradition culinaire espagnole : le régime méditerranéen. Classée Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2010, l’alimentation méditerranéenne, dont les bienfaits pour la santé et le bien-être ont été avérés, est l’essence même de notre cuisine.

La haute gastronomie espagnole actuelle séduit également pour son engagement envers l’environnement. Les produits de saison et de proximité sont la base des menus élaborés dans les plus prestigieux restaurants d’Espagne, et certains ont fait de la durabilité l’une des marques de fabrique de leurs projets culinaires.

Notre pays offre une quantité de produits extraordinaires et un point important de la cuisine espagnole est qu’on aime les préparer au naturel, sans les masquer sous de lourdes sauces.

Il est vrai qu’une plus grande présence en Belgique de restaurants espagnols de qualité serait souhaitable. En fait, il ne faut peut-être pas parler uniquement de ‘restaurants espagnols’ au sens strict, mais de restaurants pas nécessairement espagnols qui proposent une ‘cuisine espagnole’ de qualité. À mon avis, et comme pour bien d’autres choses, c’est une question d’offre/demande et sans doute faut-il laisser le temps au temps…

La tapa, un plat ou un art de vivre ? Faut-il être Espagnol pour présenter les tapas comme il se doit ?
La ‘tapa’ peut être modeste ou sophistiquée, gratuite ou coûteuse. Il peut s’agir d’olives, de saucissons ou de frites, ou même de dégustations de créations culinaires élaborées qui font partie d´un menu. Mais comme vous le savez, la ‘tapa’ à l’origine est un apéritif, une petite bouchée de nourriture qui est servie en accompagnement de la boisson.

Le type de ‘tapa’ proposé au public dépend beaucoup du moment et de l´endroit où la ‘tapa’ est consommée. Par conséquent, une ‘tapa’ dans un bar n’est pas la même chose qu’une ‘tapa’ dans un restaurant de haute cuisine. Même une ‘tapa’ proposée à l’apéritif n’est pas la même chose qu’un déjeuner à base de ‘tapas’.

La ‘tapa’ est une icône gastronomique de la culture espagnole, et elle présente certaines constances, comme la façon de la consommer, en groupe, généralement debout, en partage avec des amis, ce qui encourage les valeurs positives de coexistence et de plaisir. En Espagne, se rendre dans les bars avec des amis ou avec la famille pour y manger des ‘tapas’ est un concept qui a son propre nom : ‘el tapeo’.

Eh bien, c’est précisément pour cette raison qu’il n’est pas nécessaire d’être espagnol pour déguster des ‘tapas’, c’est plutôt une question d’attitude et de façon de comprendre la vie. Et bien sûr il n’est pas nécessaire d’être espagnol pour faire de bonnes ‘tapas’ : un chef belge pourrait faire des meilleures ‘tapas’ qu’un chef espagnol, pourquoi pas ? Au fond, une ‘tapa’ n’est rien de plus, mais rien de moins, qu’une référence à la cuisine miniature, et un chef, quelle que soit sa nationalité, est avant tout un cuisinier.

Personnellement, avez-vous un plat favori ?
Mes plats préférés de la gastronomie espagnole sont la ‘paella’ de Valence et les riz en général, la ‘Fabada’ des Asturies (une sorte de cassoulet) ou encore le ‘cocido’ madrilène (un pot-au-feu), c’est-à-dire les plats ‘de cuchara’ comme nous les appelons chez nous en Espagne, des plats de consistance pris à la cuillère.

[ Pascale Van Weert ]