« Ce sorcier du goût a immédiatement convaincu notre jury », a récemment déclaré Gault&Millau, qui a proclamé Yasushi Sasaki ‘chocolatier bruxellois de l’année’. « Je suis obsédé par les saveurs pures, et ma valeur ajoutée est de maîtriser tout ce qui vient de mon pays natal », affirme-t-il. Portrait d’un artisan dans l’âme capable de donner à ‘notre’ pâtisserie une touche japonaise à nulle autre pareille.

Yasushi Sasaki est né à Nara au Japon, une ville située à l’est d’Osaka, et s’est installé à Bruxelles en 1991 avec son père, qui avait déjà établi des contacts dans notre pays grâce à son emploi dans le secteur pharmaceutique. La passion de Yasushi Sasaki pour le chocolat l’a conduit à l’école Ceria-COOVI.

« Au départ, mon ambition consistait à apprendre à mieux connaître la cuisine française, mais comme je n’avais pas vraiment les compétences pour, par exemple, fileter le poisson, j’ai opté, sur les conseils d’un ami, pour la pâtisserie. Je suis allé au Ceria-COOVI, où j’ai étudié pendant trois ans, y compris la septième année de spécialisation. J’y ai également obtenu le diplôme de gestion. »

Une fois son diplôme en poche, il a travaillé pendant plus de 10 ans à la pâtisserie Mahieu à Woluwe-Saint-Pierre, le ‘haut lieu’ de la pâtisserie bruxelloise à l’époque, mais aujourd’hui fermé.

« J’ai pu y apprendre énormément de choses, et je leur en suis toujours reconnaissant », explique-t-il.

En 2007, Yasushi Sasaki s’est installé à son compte dans le quartier du Chant d’Oiseau, proposant des pâtisseries françaises de qualité, mais il est vrai avec moins de sucre que dans les pâtisseries classiques. Il y conçoit également des pralines à l’aspect raffiné qui se caractérisent par leur subtilité, leur sophistication, leur intensité et leur précision typiquement japonaise.

« Je suis obsédé par les saveurs pures, explique-t-il. Pour mes enrobages et mes ganaches, je pars toujours de chocolats ‘origin’ différents. »

Quelle est votre philosophie en tant que pâtissier-chocolatier ?
« Au bout de 30 ans, je pense bien connaître le marché belge, et l’expérience que j’ai apportée du Japon en tant que chocolatier et pâtissier, fait que la saveur de mes produits a toujours été ‘différente’ et le restera toujours. Il s’agit, comme pour tout processus chimique, du mélange de matières premières ; il faut donc bien les connaître et savoir comment elles ont été cultivées si l’on veut obtenir un produit final équilibré. A la fin du processus de production, il y a d’ailleurs toujours une différence et même si les clients ne la voient pas toujours, ils la goûtent ».

La grande ‘différence’ réside probablement dans l’utilisation d’ingrédients avec une touche japonaise ?
« J’aime en effet travailler avec un produit comme le yuzu, qui s’apparente au goût du citron vert et qu’il vaut mieux utiliser de manière subtile, car il peut sinon devenir dominant en termes de saveur. Mes ingrédients préférés comprennent également des produits frais comme les graines de sésame, les haricots rouges et quelques, peut-être moins connues, sortes de thé comme le matcha et le thé vert torréfié hojicha du Japon. J’importe également tout en direct du Japon, en optant pour des modes de transport qui protègent au maximum la qualité des produits. »

Quel est votre chocolat préféré ?
« Mon chocolat préféré vient de Madagascar, suivie par l’Amérique du Sud. Cette année, je vais également me lancer dans le chocolat bean-to-bar, mais uniquement pour les tablettes ; c’est le meilleur produit pour savourer la finesse de ce chocolat. »

Comment votre philosophie du chocolat a-t-elle évolué au cours de ces 30 années ?
« Le consommateur voit passer énormément d’informations concernant le chocolat sur les médias sociaux et autres, il n’y a donc certainement pas de manque d’informations et de choix. Il n’est peut-être pas si difficile de se développer en tant que pâtissier-chocolatier, mais je veux et continuerai toujours à veiller à ce que la qualité ne faiblisse pas. Actuellement, la pâtisserie représente 65 % de mon activité et la chocolaterie 35 %, mais j’aimerais inverser la situation, également pour des raisons économiques. Le chocolat est en effet ‘plus facile’ à développer, alors que pour la pâtisserie, il faut toujours travailler avec des produits frais qui se conservent moins longtemps. »

Recommanderiez-vous la profession de pâtissier-chocolatier aux jeunes ?
« Absolument, et ce, parce que la tendance est à la spécialisation. Pâtissier et chocolatier vont d’ailleurs devenir deux professions à part entière. Vous ne pouvez pas non plus continuer à faire ‘tout’ à la fois et aussi bien. Au fil des années, le niveau a d’ailleurs fortement augmenté. La raison ? Pendant (très) longtemps, la chocolaterie a suivi une approche classique, travaillant essentiellement en termes de volume avec de grands distributeurs. Mais depuis le début de ce siècle, d’autres valeurs se sont imposées. Nous le devons principalement à notre collègue Pierre Marcolini, qui en véritable pionnier, a élevé le métier de pâtissier-chocolatier à un niveau gastronomique, ce qui n’était pas possible auparavant. »

Le problème de personnel se pose-t-il également dans votre secteur ?
« Je travaille avec cinq collaborateurs japonais, ce qui signifie que la touche japonaise restera certainement présente, et un stagiaire belge. Quoi qu’il en soit, il faut essayer de trouver du personnel compétent et motivé, et espérer qu’il reste pendant des années, ce qui n’est pas toujours évident. Moi-même en tant que ‘chef’, je donne le maximum d’énergie, mais il faut continuer à garder à l’esprit que le personnel peut s’en aller ‘du jour au lendemain’. N’oublions pas non plus que nous travaillons avec de petites marges… Quoi qu’il en soit : depuis que j’ai été élu chocolatier bruxellois de l’année par le Gault&Millau, de nouvelles portes se sont certainement ouvertes pour moi au Japon. A Bruxelles, je vais continuer à faire ce que je fais actuellement. J’ai bien un deuxième établissement, à quelques kilomètres d’ici près du square Montgomery à Bruxelles, mais je n’ai pas de projets d’expansion plus lointains et plus ‘importants’.

Et pour terminer… quels sont, après toutes ces années en Belgique, vos plats belges préférés ?
« Sans hésiter, les moules-frites, et ensuite les asperges à la flamande ; un plat très simple mais délicieux. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser : je n’apprécie pas… les bières belges », nous confie encore l’amateur de saké Yasushi Sasaki en souriant, qui, après toutes ces années, a également réussi à acquérir l’esprit ‘Brusseleir’ et bon vivant reconnaissable. Alors surtout, ne changez rien.

[ Danny Verheyden ]