Le restaurant Les Eleveurs situé à Hal célèbre sa 120ème année d’existence. L’hôtel-restaurant en est entre-temps à sa quatrième génération. Et lorsque l’on aborde, avec Pierre De Brouwer, la troisième génération et son fils Andy l’histoire de ‘leurs’ Eleveurs, il n’y a quasi plus moyen de les arrêter.

Le grand-père de Pierre, Jules-César De Brouwer, quitta Saint-Nicolas en 1894 pour aller travailler à l’usine sucrière de Hal en tant que chimiste. Il parcourait toute la province du Brabant en calèche à la recherche des betteraves sucrières ayant la plus forte teneur en sucre. Il ramenait ensuite des échantillons à Hal afin de les analyser.

1ère génération : Jules-César

C’est à Saint-Roch, à la taverne Devleeshouwer, qu’il fait la connaissance de Joséphine, la fille du patron, également marchande de charbon. Ils se marient et en 1897 ils louent une maison face à la gare de Hal. Quelques années plus tard, ils achètent l’ancien Hôtel de l’Univers.

L’hôtel subit une rénovation complète. A l’époque, Hal et ses environs étaient un important centre d’élevage de chevaux de trait brabançons. Le nom de l’établissement se veut un clin d’œil à cette époque lointaine. Le portail de l’’Hôtel des Eleveurs’ à la Stationstraat 15, menait vers une cour intérieure donnant accès à des écuries pour une douzaine de ces géants brabançons, ainsi qu’à un endroit prévu pour plusieurs calèches.

L’endroit devint très vite un lieu de rencontre pour les éleveurs, les vendeurs et les acheteurs de chevaux. Il y avait également 10 chambres d’hôtel et au rendez-de-chaussée la première partie faisait office de café et l’arrière, avec une grande table ovale, de restaurant. C’est également là qu’étaient installés la cuisine, la buanderie et le lieu de stockage.

 

 

2ème génération : Léon

La deuxième génération ne se fit pas attendre : Pierre-Oscar De Brouwer vit le jour en 1903, et Jean-Léon en 1907. Les affaires tournent bien. Oscar devient agent de change à la Bourse de Bruxelles, et Léon restaurateur. Il épouse la fille d’un boucher, Germaine Dedobbeleer. Il est trop tôt encore pour reprendre l’affaire familiale ; raison pour laquelle ils exploiteront le premier hôtel-restaurant de la Sabena à l’aéroport de Haren-Evere : l’Avia Palace. Ils y étaient notamment responsables des repas à bord des vols Sabena, et sont ainsi probablement les pionniers dans le domaine du catering aérien. Hélas, quelques années plus tard ils perdront leur concession au grand dam de la Sabena d’ailleurs, vu que leurs successeurs ne satisferont absolument pas aux exigences.

Le temps était venu pour Germaine et Léon de reprendre l’affaire familiale. Ils s’y installent donc avec leurs deux enfants, Jules et Frans. Leur sœur Thérèse devait naître quelques mois plus tard.

En 1940, la guerre éclate. Oscar émigre en Argentine et Léon fuit vers la France, comme de nombreux Belges de la région bruxelloise. Lors du bombardement par les alliés britanniques du pont traversant le canal à Hal, le quartier est entièrement dévasté. Deux soldats anglais ivres n’avaient en fait pas placé les explosifs sous le pont mais bien au-dessus de celui-ci. Le ‘collateral damage’ était tel qu’il eut des répercutions jusque chez Les Eleveurs, où les décorations en pierre bleue de la façade furent arrachées et le plafond de superbe salle de réception s’effondra. Il ne restait plus aucune vitre intacte dans tout le bâtiment. Léon reconstruisit immédiatement Les Eleveurs avec l’aide de l’architecte néerlandais Snijders, qui a du reste également contribué à la construction de la basilique de Koekelberg. Pas une tâche facile en temps de guerre :  il y avait une grande pénurie de matières premières, les fenêtres et les portes devaient être occultées et le couvre-feu était en vigueur. Mais même pendant les travaux, l’établissement accueillit ses clients, il est vrai dans une bodega clandestine où la gueuze Deboek coulait à flot…

Pierre De Brouwer naquit en 1941,  son frère Paul deux ans plus tard. Entre-temps les travaux de rénovation étaient terminés. La grande table ovale fit place à 12 tables de restaurant et un dressoir moderne. Le plat du jour fut remplacé par une carte où le choix ne manquait pas… L’ancien café devint une taverne avec possibilité de prendre un repas. A l’aube de l’exposition universelle, Léon décida une fois de plus d’apporter quelques nouveautés à son établissement : en 1957, les sanitaires furent renouvelés et on construisit une nouvelle façade latérale.

 

 

3ème génération : Pierre

En 1956 le fils, Pierre s’en va étudier à l’école hôtelière de Namur.

Nous lui donnons la parole : « J’ai tenu le coup pendant à peine un an. Lorsque le chef m’insulta à deux reprises de ‘sale flamin’, la coupe était pleine. J’ai poursuivi ma formation pendant cinq ans au CERIA à Bruxelles. J’y ai également suivi un sixième année de spécialisation en connaissance du vin. »

Les années passèrent et en 1967 Léon, le père construit un nouveau restaurant ainsi qu’une nouvelle cuisine. Six années plus tard nait Amanda, la fille de Pierre et celui-ci succède à ses parents. Pierre : « Mais ce n’est qu’en octobre 1989, après le décès de ma mère bien aimée, qui m’avait tout appris en cuisine, que je pus convaincre mon père de me vendre l’hôtel. J’ai modernisé les chambres existantes et en ai construit huit supplémentaires. En 1993, mon fils Andy est venu travailler chez nous en tant que jeune maître d’hôtel. Que pouvais-je rêver de mieux ? Il développa une réelle passion pour le vin, et en 2003, ce qui était anciennement la taverne, fut transformée en boutique offrant des possibilités de dégustation : la Bodega. Et c’est ainsi que le quatrième lifting de Les Eleveurs devint un fait. »

 

 

4ème génération : Andy

En 2007, Andy reprend les commandes de l’affaire familiale avec sa partenaire de l’époque Sofie Dumont dont il avait fait la connaissance durant sa formation à l’école hôtelière.

Andy : « La reprise de l’affaire ne fut pas simple. Sofie reprendrait la cuisine de mon père mais la différence de génération et les approches différentes des chefs rendirent les choses compliquées. Nous avons vendu la Bodega avec pour objectif de nous concentrer, dans un endroit plus petit et moins onéreux, sur la gastronomie, à l’époque toujours fidèle à la cuisine ‘traditionnelle’. »

En 2009, Sofie est élue ‘Lady Chef of the Year’, ce qui insuffla une nouvelle vie au restaurant. Andy : « Suivirent alors quelques années d’or, mais petit à petit les passages de Sofie dans les média prenaient le dessus sur le restaurant. En 2011, notre relation s’étiole et deux ans plus tard Sofie quitte définitivement Les Eleveurs. Notre jeune sous-chef Nico Corbesier a alors reprit la direction de la cuisine, une mission délicate mais qu’il réussit avec brio.

Après avoir travaillé pendant 18 ans dans le domaine de la parfumerie, Amanda, ma sœur, a pris sur elle la gestion des 15 chambres d’hôtel. Après un an, elle rénova la plupart des chambres et ajouta une 16ème chambre wellness de luxe.

 

 

En 2013, un nouveau revirement allait être opéré. Andy : « Nous avons changé notre fusil d’épaule et nous nous sommes résolument concentrés sur la ‘bistronomie’, à savoir une cuisine plus simple et plus accessible. Et jusqu’à présent, nous ne l’avons pas encore regretté un seul instant. Un an plus tard, nous avons investi dans la rénovation complète de la cuisine : une totale métamorphose avec les technologies modernes les plus récentes. La collaboration avec notre jeune chef talentueux se termina début 2015, et quelques mois plus tard, notre chef actuel Michel Borsy donna un nouvel élan à Les Eleveurs.

Au terme de 120 ans, Les Eleveurs sont toujours là, et ce, assurément encore pour longtemps…”

C’est en tout cas ce que nous espérons, nous et l’ensemble de l’équipe de cette ‘grande dame’ du paysage de l’hospitalité belge.

www.les-eleveurs.be