Le sel est l’un des principaux ingrédients de l’alimentation humaine. Ce composé minéral relève non seulement la saveur des mets mais constitue aussi un moyen de conserver les produits. De plus… notre organisme ne pourrait pas fonctionner sans sel. Il en existe deux types : le sel gemme, un sel de roche extrait de mines terrestres, et le sel marin, recueilli par évaporation de l’eau de mer dans des ‘marais salants’ à ciel ouvert. Le sel marin le plus célèbre est extrait en France sur les côtes de la Presqu’île de Guérande.

Curieuse d’en savoir plus sur la technique de récolte unique du sel à Guérande, je suis partie à la découverte de la région fin juin. Je me suis rendue dans les marais salants du Bassin du Mès, accompagnée de ­Matthieu Le Chantoux, paludier de l’Atelier du Sel. Là où, à cette époque de l’année, les marais salants offrent un spectacle d’une blancheur scintillante… il n’y a plus que de l’eau.

Matthieu : (profond soupir) « Cette année, fin juin, nous ne pouvons toujours pas commencer. Le temps est trop humide, il y a du vent, mais pas assez de soleil. De plus, la pluie a trop dilué l’eau de mer.

Ces marais salants existent depuis des siècles. Nous continuons à extraire le sel exclusivement à l’aide de l’énergie éolienne et solaire. Ce paysage a été façonné par l’homme pour utiliser au mieux cette énergie. Nos marais salants ont environ 120 ans. Nous les avons achetés à un ancien mineur de sel il y a 10 ans et les avons rénovés. Nous ne pouvons ni créer de nouvelles salines ni les agrandir, nous devons nous limiter à celles déjà en place. Si nous voulons nous développer, nous devons reprendre les marais salants de quelqu’un qui cesse ses activités. Au total, la Guérande compte environ 500 paludiers.

Mes collègues de la Coopérative et les indépendants comme nous sont les seuls à extraire le ‘Sel de Guérande’ et la ‘Fleur de Sel’, un produit unique que l’on ne trouve qu’ici, dans cette région. »

 
Nous marchons le long d’étroits couloirs séparant les bassins rectangulaires. Reliés par un système hydraulique naturel, ces bassins forment un paysage magique digne des plus belles mosaïques. La mer est à un bon kilomètre et demi.

Matthieu : « Cette région s’est formée il y a des millions d’années. L’argile qui s’est sédimentée ici regorge d’oligo-éléments qui passent dans le sel. A partir de cette argile, nous fabriquons également des digues, des chemins, des ponts…

« Nous procédons (normalement) à la récolte de fin mai à fin septembre. En hiver, les bassins sont séchés et couverts pour les protéger des tempêtes et de l’érosion. C’est aussi la période au cours de laquelle nous effectuons les travaux d’entretien. À partir de février, je commence à nettoyer les bassins un à un. J’enlève les algues car nous ne pouvons récolter le sel que sur l’argile pure.

« Chaque mois, à marée haute, je remplis un grand réservoir d’eau de mer que je laisse ensuite s’écouler lentement à travers les salines par des cloisons en bois qui peuvent s’ouvrir et se fermer. Je dois anticiper les conditions météorologiques pour savoir quelle quantité d’eau je peux laisser entrer. Si le temps est sec et venteux, je dois laisser entrer plus d’eau car elle s’évapore et cristallise plus rapidement.

« A la surface de l’eau, l’après-midi, le soleil et le vent forment une fine pellicule : la ‘fleur de sel’. Cette couche est extraite de l’eau et recueillie avec beaucoup de précaution. Ce n’est qu’ensuite que l’on récolte le sel marin gris, qui prend sa couleur au contact de l’argile.

« Au cours d’une saison normale, nous récoltons 1,5 tonne de sel par bassin. Tout est fait manuellement. C’est un travail difficile qu’il faut très bien organiser car lorsque le sel est prêt, il doit être récolté. »

Le sel passe du gris au blanc neige

Le traitement du sel se fait à l’intérieur des terres, à Saint-Molf. En entrant, on ne voit rien d’autre que des montagnes de sel. Hugues Martineau, cousin et associé de Matthieu, transforme ici le sel en portions commercialisables, de la petite quantité au kilogramme.

Hugues : « Pour le Sel Gris, nous avons un an et demi de stock. C’est une nécessité car nous dépendons entièrement de la nature pour notre rendement et… elle a toujours le dernier mot. »

Hugues saisit une poignée de Fleur de Sel. « Il s’agit du sel le plus pur et le plus fin qui soit. On ne cuisine pas avec la Fleur de Sel, on apporte la touche finale aux plats (froids/crus et chauds) avec parcimonie (une pincée suffit). De même, ne le mettez jamais dans un moulin, mais dans un bol sur la table. Il agrémentera : crudités, œufs à la coque (avec de la ciboulette), légumes tièdes ou grillés, poissons et viandes grillés, salades et pâtes, melon et fromage de chèvre frais aux radis, dont le goût est rehaussé par quelques grains.

« Le gros sel ou Sel Gris est quant à lui polyvalent dans la cuisine. Nous trions le Sel Gris en gros et petits grains et le conditionnons immédiatement. Il s’agit exactement du même sel, mais sous une forme différente. Pour l’utilisation dans la salière, les petits grains sont rendus encore plus fins et séchés plus fortement, jusqu’à moins de 2% d’humidité. Le sel de Guérande est un produit naturel, il est un peu humide et absorbe également l’humidité. Il est préférable de l’utiliser directement après ouverture et de le conserver au sec. Nous mélangeons également ce sel avec des arômes tels que les herbes de Provence, l’ail des ours, le piment d’Espelette, le fenouil… Une de nos spécialités est notre court-bouillon, un mélange de fruits de mer et de poisson pour la cuisson. Ce sel est utilisé dans les ragoûts, dans l’eau de cuisson des légumes, des pâtes, des œufs (l’écaillage devient plus facile) et comme croûte de sel autour du poisson ou de la viande. Pour les pommes de terre nouvelles, vous pouvez utiliser du gros sel pour enlever la fine peau sans effort. Les oignons crus et les concombres (pelés et épépinés) se digèrent mieux si on les met dans du gros sel pendant 15 minutes. Rincer abondamment avant utilisation. Vous pouvez également utiliser du gros sel pour le salage à sec. Le bacalao (poisson salé), le jambon séché, les citrons marinés et le gravlax en sont de bons exemples. Comme cette méthode permet d’extraire l’humidité du produit, elle constitue également un bon moyen de rendre le poisson plus ferme avant sa transformation. »

Je termine mon périple du sel à La Baule, littéralement ‘dépôt de sable’. Je dors dans un hôtel juste en face des Halles et suis donc réveillée dès potron-minet par les commerçants. Il fait 28°C et la fenêtre de ma terrasse est grand ouverte. Si les Halles en France sont toujours une fête, elles prennent ici des allures de véritable festin de la mer ! Les fruits de mer, les poissons et les langoustines vivantes font le plaisir des fins gourmets. Lorsque je dis à la vendeuse que je regrette de ne pas pouvoir en acheter, elle me propose de faire cuire les langoustines pour que je puisse aller les déguster sur la plage ! On ne pouvait rêver de meilleur adieu à la terre salée de Guérande !

Adresses

l’Atelier du Sel
www.leseldeguerande.fr

Terre de Sel, Coöperatieve/Coopérative
www.terredusel.com

Les Jardins de la Mer
www.lesjardins-delamer.fr

www.labaule-guerande.com

Logement

Guérande, La Guérandière Maison d’hôtes
www.guerandiere.com

La Baule, Bo&Mia
www.bomia-hotel.com

Restauration

Guérande, Restaurant La Tête de l’Art
www.restaurantlatetedelart.fr

Guérande, Bistrot L’Agapé
www.lagapebistrot.com

La Baule, Le Castel Marie-Louise
www.castel-marie-louise.com

[ Tine Bral — photos : Marc-Pieter Devos & labauleguérande ]