Pauline Petta, 32 ans, multi-entrepreneure et surtout directrice du Domaine des Hautes Fagnes depuis 7 ans, nous raconte son parcours hors norme. Le travail est au centre de sa vie, une valeur qu’elle porte de manière inspirante comme toutes les femmes de sa famille italienne.

Vous avez grandi dans une famille italienne. Vos parents entrepreneurs sont partis de rien. Avez-vous reçu la même éducation que votre frère ?

Mes parents sont arrivés en Belgique sans un sou et avaient le désir d’entreprendre. Aujourd’hui, le groupe de la famille Petta représente une dizaine d’entreprises. Comme mes parents travaillaient énormément, j’ai été élevée par mes grands-parents qui ne parlaient pas français, mais qui avaient un profond respect pour la Belgique. Et même si nous avons une culture méditerranéenne, toutes les femmes sont indépendantes et ont toujours travaillé dans notre famille. L’éducation était similaire avec mon frère et très stricte. Pas le droit de se reposer, pas le droit de rater. Mes parents voulaient le meilleur pour eux et pour leurs enfants. C’était parfois difficile mais je les remercie de tout mon cœur.

Vous n’avez jamais adhéré au système scolaire classique et c’est dans un lycée privé à Bruxelles que vous vous êtes épanouie aux côtés de professeurs pratiquement tous entrepreneurs…

Je trouve que le système scolaire classique est parfois fort éloigné de la réalité, on ne vous apprend pas ‘l’école de la vie’. On ne dit pas assez aux élèves quels sont les métiers en pénurie, quels sont les salaires en fonction des créneaux qu’ils choisissent. En 2e secondaire, j’ai intégré le lycée Molière à Bruxelles. J’avais toujours eu des soucis avec les professeurs dans le système classique et ce lycée m’a clairement remise sur les rails.

A 19 ans, vous partez aux Etats-Unis, en Floride, pour vous perfectionner en anglais. Que vous a enseigné cette vie là-bas ?

J’ai appris l’anglais parfaitement, j’ai fait un cursus hôtelier en anglais. L’hôtellerie m’attirait, car j’ai toujours adoré les beaux hôtels et le monde de l’hospitalité. Entrer dans un hôtel et avoir tout le monde aux petits soins, je trouve ça exceptionnel. C’est aussi la période où mon père a racheté le Domaine des Hautes Fagnes qui était à ce moment-là un établissement totalement abandonné.

Les Etats-Unis m’ont permis de renforcer mon esprit d’entrepreneure. Les gens cumulent des jobs. C’est un pays où tout le monde se souhaite le meilleur. C’est un pays visionnaire.

Avez-vous des modèles de femme qui vous inspirent ?

Mes modèles, ce sont toutes ces femmes dans la famille Petta. Je vais citer particulièrement ma marraine : Lucie Petta. Elle est arrivée en Belgique lorsqu’elle était encore mineure. Elle a bénéficié d’une émancipation par le roi pour ouvrir sa propre entreprise puisqu’elle était mineure. Elle avait un gros atelier de couture sur Liège.

L’Horeca reste un milieu plus compliqué pour les femmes…

Oui, à cause des horaires. C’est compliqué de combiner ces métiers avec une vie de famille. Les femmes y ont leur place, mais quand elles aspirent à une vie familiale, elles se retirent petit à petit. Evidemment, ce focus sur les enfants, je le comprends et je le respecte. Pour autant, je dirais qu’elles ne doivent pas mettre de côté leur passion du métier et conserver même un temps partiel, discuter avec leur patron pour trouver des solutions.

Après avoir occupé tous les postes au Domaine des Hautes Fagnes, vous décidez de changer tout ou presque. L’équipe en place à ce moment-là se ligue contre vous. Comment avez-vous tenu le coup psychologiquement ?

Souvent quand les parents ont des entreprises, les gens pensent que les enfants sont parachutés tout en haut. Ça n’a absolument pas été le cas pour moi. L’hôtel n’existait pas, tout était à créer. Mon père m‘a dit : « Toi, il faut que tu sois plongeur car tu es super jeune et tu n’y connais rien ». J’ai travaillé à la plonge et je voulais nettoyer le plus de vaisselle possible en un temps record. Je me challengeais déjà d’une certaine manière. Je faisais 15 h par jour. Et finalement je suis montée en 7 ans. Je suis passée de plongeur à commis de cuisine, serveuse, maître de salle, spa manager, réceptionniste, commerciale, directrice adjointe et enfin directrice générale. Quand j’ai repris la direction, nous avons quadruplé le chiffre d’affaires les premiers mois et nous continuons d’être en croissance. Aujourd’hui, nous sommes 85 à travailler pour le Domaine des Hautes Fagnes. Et oui, c’est vrai, j’ai vécu un vrai harcèlement, plus de 60% de mon équipe se sont ligués contre moi, pour ma chute. C’était il y a 8 ans. Je me suis confrontée à des gens accrochés à leurs habitudes qui ne voulaient rien changer. Pour tenir le coup, je me suis profondément écoutée tout simplement. Je savais que j’étais dans le bon en ce qui concerne ma vision qui était basée sur mes observations des dernières années.

Vous dites dans votre dernier post LinkedIn : (…) « D’année en année, j’ai dû m’imposer dans un milieu où être une femme ambitieuse ET féminine était un réel défi… »

Aux Etats-Unis, j’ai vu très jeune ces femmes en talons aiguilles, tailleur cintré, qui couraient dans tous les sens avec leur café chaud, leurs fardes et leurs enfants sous le bras pour aller les déposer à l’école. Pour moi, c’était normal. Et quand je suis arrivée en Belgique, on m’a dit : « Pourquoi tu mets des talons, tu n’en as pas besoin ». Il y a en effet encore un côté chez nous qui n’accepte pas tout à fait que la femme soit une femme d’affaires et soit féminine. Combiner les deux ne semble pas être logique. On me regarde souvent en me disant : « Vous êtes la femme de qui ou vous êtes la fille de qui ? Où est votre patron ? » Et tout le monde semble toujours surpris quand je dis que je suis le patron.

Vous avez plusieurs autres sociétés, comment gérez-vous votre emploi du temps au quotidien ?

Je n’ai pas encore d’enfants, je ne suis pas prête à diminuer mes horaires de travail. Je travaille du lundi au dimanche. Je fais ma première journée de 10h, je rentre chez moi pour faire à manger et vers 21h, je retravaille encore plusieurs heures. La vie privée ou amicale passe après, c’est mon choix. Evidemment, lorsque j’aurai des enfants, ce sera différent.

Est-ce que vous trouvez que les femmes ne sont pas suffisamment formées à la gestion ?

La femme est toujours un peu plus dans le management et dans la créativité de par sa sensibilité féminine. Elle est moins proche de tous ces calculs, de la gestion financière. Pourtant, s’il n’y pas de gestion financière dès le début dans votre poste, vous pouvez être la plus courageuse et la plus créative, ça ne sert à rien. La première chose à faire en arrivant le matin au Domaine, c’est regarder le rapport de la veille. Est-ce que j’ai été rentable hier ? Et aujourd’hui, quels sont les objectifs ?

Le mot de la fin….

Je rêve que soit redorée l’image de ces gens qui ont décidé de travailler quand les autres se reposent. Cuisiner pour quelqu’un, l’accueillir dans un hôtel, c’est être ‘au service de’, c’est merveilleux et toutes ces charges que subissent les restaurateurs et le monde de l’hospitalité sont en train de les couler.

[ Ann Vandenplas ]