Sofie et son époux Matthieu Beudaert (chef de Table d’Amis*) sont mordus de culture et de cuisine italiennes. Lorsque le covid a mis les restaurants en veilleuse en 2020, le duo a ouvert une trattoria dans leur restaurant courtraisien. Avec plats à emporter bien sûr, mais la Trattoria La Bicicletta est très vite devenue une histoire à succès. Full Italian food, mais sans la ‘véritable’ pizza napolitaine. Dommage estima Sofie et… Sofie devint Sofia.
Sofie devient Sofia
Sofie : « Nous étions en 2020-2021 et tous les restaurants étaient fermés. La Bicicletta battait son plein, mais il nous manquait les pizzas. Grâce à notre fournisseur de café, j’ai découvert qu’il existait une académie de la pizza à Naples, l’AVPN (Associazione Verace Pizza Napoletana), où l’on pouvait apprendre à préparer la ‘vraie’ pizza napolitaine. Je me suis dit que vu la situation, c’était le moment ou jamais de m’éloigner du restaurant pendant un mois, sinon je n’en aurais plus jamais l’occasion… Le 7 mars, jour de mon anniversaire, j’ai donc pris l’avion pour Naples à Paris Charles De Gaulle. Nous étions 50 passagers, très éloignés les uns des autres (rires), quel luxe. Vous n’aviez d’ailleurs le droit de voyager que pour le travail.
« Pendant un mois, j’ai été immergée 7 jours sur 7 de 10 à 22h dans le monde de la pizza. L’AVPN a été fondée par 10 familles de pizzaïolos napolitains qui se sont réunies pour créer la recette unique de la pizza napolitaine. Les participants à l’AVPN viennent du monde entier, mais de nombreux Napolitains assistent également aux cours.
« J’y ai appris à préparer la vraie pizza napolitaine ‘à partir de rien’. Un voyage de la farine en passant par la pâte jusqu’aux ingrédients pour la garniture. Beaucoup de théorie, beaucoup de dégustations et surtout… beaucoup de pétrissage à la main. Et oui, une pâte faite à la main n’a pas le même goût qu’une pâte pétrie à la machine, car l’absorption d’oxygène est plus lente. Ensuite, la pâte doit lever, au moins 12 heures, mais de préférence 24 heures, puis elle doit être mise en boules en 20 minutes, une pour chaque pizza. »
La pizza napolitaine
Sofie : « Ce qui caractérise la pizza napolitaine, c’est la longue durée de levée et la manière dont la pâte est préparée pour que les bords remontent. Les pizzas napolitaines sont également enfournées très brièvement – 60 à 90 secondes, mais à 420 °C ! ce qui permet aux garnitures de rester très juteuses. La pizza napolitaine a ce petit aspect moelleux, alors que la pizza romaine, qui cuit plus longtemps, est dure.
« Les garnitures sont très importantes, elles font la pizza. Nous avons 26 pizzas différentes à la carte, mais à Naples, ils en proposent au moins le double. Nous ne travaillons qu’avec des produits italiens. Ciro, notre pizzaiolo est originaire de Naples et cela nous permet de travailler avec les meilleurs producteurs. Chacun connait/utilise la mozzarella, mais sur une pizza napolitaine, la fior di latte est bien meilleure. La fior di latte et la mozzarella sont deux choses différentes ! La mozzarella est toujours élaborée à partir de lait de bufflonne, la fior di latte à partir de lait de vache et elle convient beaucoup mieux à la pizza. Pour les tomates, nous utilisons les San Marzano, de la région de Naples. Elles sont pelées à la main tous les jours et passent ensuite par le passevitte.
« La base est bien sûr la pâte qui est déroulée et manipulée jusqu’à ce qu’elle soit la plus fine possible. C’est le travail et l’art du pizzaiolo. Si vous avez mangé de la pizza et que la nuit vous vous réveillez avec une lourdeur sur l’estomac, c’est que la levée n’a pas été respectée et que la fermentation a donc lieu dans votre estomac. »
Un four authentique
Sofie : « La pâte et les garnitures font la pizza, mais plus important encore est le four. A Naples, je suis allée visiter l’usine où l’on fabrique les fours à pizza typiquement napolitains. Pour moi, il ne faisait aucun doute que je devais avoir un four aussi authentique dans ma pizzeria. Le transport n’a pas posé de problème, mais… nos fenêtres et nos portes ne font que 1,40 m de large et un four de 2 m de diamètre ne pouvait donc pas passer…. La seule solution était de construire le four sur place. Trois Italiens de l’usine, avec un camion rempli de briques, de mortier et de ciment, sont venus à Courtrai en mai 2021 et ont construit le four en trois jours. Ils ont d’abord posé la base métallique, puis la ‘bouche’ a été maçonnée et recouverte d’une voûte en forme de dôme, qui constitue, avec les briques, la partie la plus importante du four. Les pierres contribuent à la saveur et à la structure des pizzas. Le dôme est ensuite recouvert de ciment et terminé par de la mosaïque.
« Lorsque j’ai ouvert la Pizzeria Sofia à l’été 2021, nous avons d’abord dû nous contenter d’un four Vonken, car notre four nouvellement maçonné devait d’abord sécher. Chaque jour, nous le faisons chauffer brièvement pour qu’il puisse ‘transpirer’. En août, il commençait à produire de la chaleur, mais il continuait à transpirer énormément. Ce n’est qu’en octobre que nous avons pu y cuire nos premières pizzas.
Il est un peu plus de 11h et Ciro est en train d’allumer le four. Du bois brûlant est répandu sur la sole du four. Lorsque le four atteindra la température de 420°C, Ciro déplacera le bois qui se consume sur le côté. Et lorsque les premières pizzas sont commandées à midi, le four est à pleine température et ronronne comme un chat heureux. La bête reste-t-elle allumée jour et nuit ?
Sofia : « Le soir, la bouche est refermée et le matin, elle donne encore environ 200°C. Nous sommes fermés le lundi et le mardi, et le mercredi, nous avons besoin d’environ deux heures pour que la température atteigne à nouveau 420°C. (rires). En ce qui concerne le thermomètre situé à l’avant, il ne vous apprendra rien, il s’est cassé en un rien de temps en raison de la forte chaleur. Comment savons-nous qu’il est à température ? Lorsque vous mettez votre main devant la bouche et que vous dites « oh, quelle chaleur ! » alors vous savez qu’il est prêt. Mais… posez votre main sur la face extérieure (ce que je fais) et c’est froid…, voilà le secret d’un bon four à pizza ! »
Pizzeria Sofia
Sofie : « Je voulais que l’histoire de Sofia ait un sens de A à Z. Sophia Loren est ‘la donna di Napoli’ et le lien a été facilement établi (large sourire). D’une part, il y a la touche féminine, et d’autre part, je ne travaille qu’avec des produits italiens, des ingrédients au vin en passant par le café. Et bien sûr, il y a Ciro, notre pizzaiolo ! Né et élevé à Naples, il aidait déjà dans la pizzeria de son oncle à l’âge de 13 ans. Il est ‘maître pizzaiolo’, ce qui signifie qu’il enseigne également aux chefs, ce qu’il a déjà fait à Milan et à Londres. Je l’ai connu par l’intermédiaire de l’ami de mon interprète à l’AVPN. Il vit à Bruxelles, nous nous sommes rencontrés et le déclic s’est produit, nos histoires allaient dans le même sens et il est venu à Courtrai.
« Le four peut contenir 6 pizzas d’un coup, mais Ciro n’en enfourne que 4 à la fois. Chaque pizza a aussi sa propre durée de cuisson. Lorsque vous cuisez la pizza, vous devez tenir compte de la chaleur de la sole, de la chaleur de la convection et de la chaleur du rayonnement et celui-ci diffère tous les jours. Pizzaiolo est également un métier particulier dont on est très fier. »
Ciro se joint à nous. Il sourit à pleine bouche, la veille Naples a à nouveau remporté le championnat italien de football après 33 ans. Il sort des boules de pâte du réfrigérateur et nous annonce avec un large sourire qu’il va nous préparer une pizza pour le petit-déjeuner. Dans ses mains, la boule de pâte devient un disque souple et fin qui, après un dernier étirement, est posé sur le plan de travail fariné. Une couche de purée de tomates est étendue sur le dessus, garnie de morceaux de fior di latte et de quelques feuilles de basilic. Une pizza napolitaine peut contenir jusqu’à cinq ingrédients. Ciro glisse la ‘paletta’ sous la pizza et la dépose dans le four chauffé à blanc, observe attentivement, la fait tourner rapidement et hop…. voilà notre pizza ! Un couteau et une fourchette ?! Ciro coupe la pizza en quatre, prend un morceau dans sa main, le roule et mord dedans…. c’est comme ça qu’on mange la pizza napolitaine ! Je fais comme lui : c’est délicieux ! Plus tard, je goûte la pizza Ortolana, sur laquelle la tomate – non indispensable – a été remplacée par une crème d’asperges garnie de melanzane, de zucchini, de provola et d’olives noires : le bonheur à l’état pur !!!
[ Tine Bral — photos : © Marc-Pieter Devos / Pizzeria Sofia ]