Je pourrais presque trouver des cèpes dans mon jardin mais, pour la seule véritable truffe noire d’hiver – la tuber melanosporum, je dois quitter mon coin de France, rouler une centaine de kilomètres vers le sud, et mettre le cap sur le Périgord. C’est là qu’on y trouve les plus fameuses, mais le Vaucluse et l’Italie ne sont pas en reste.

A la chasse !

Nous sommes début décembre et les premiers marchés aux truffes se mettent en place. Quasi toutes les villes situées dans la région de la truffe ont un marché hebdomadaire qui s’adresse d’abord aux professionnels, puis à tous les amateurs de truffes. Sans oublier que le ‘diamant noir’ n’est vraiment à son apogée qu’en janvier et en février, l’odeur terreuse sur les marchés y est enivrante. À cette époque, la truffe a une longue période de croissance à son actif. Les ‘truffettes’ – des truffes en devenir – commencent à pousser au printemps, lorsque le sol humide autour des chênes et des noyers se réchauffe lentement. Pendant les chauds mois d’été, les petites truffettes se développent pour devenir de belles truffes fermes en octobre ou novembre. En décembre, le chasseur de truffes peut alors sortir avec son chien – parfaitement dressé.

Comme pour ma cueillette de cèpes, j’ai dû jurer sur tout ce qui m’est cher de ne jamais révéler à personne l’endroit où nous partons à la ‘chasse’. Mon chasseur, son chien et moi – pas de photographe ! pénétrons dans le bois aux truffes, le nom merveilleusement enchanteur que je lui donne. Si l’on peut littéralement sentir les cèpes, seul le chien découvre les truffes et le tout est alors de réagir rapidement pour déterrer ces truffes délicatement avant que le chien lui-même ne creuse avec (trop) d’enthousiasme. Il existe environ 70 espèces de truffes dans le monde, dont 32 poussent en Europe, mais seules quelques-unes d’entre elles sont comestibles. Il existe des truffes d’été, d’automne et d’hiver, dont la tuber melanosporum est le nec plus ultra. La France fournit en moyenne 30 à 50 tonnes chaque année – en fonction de la météo – de ce mets divin. Qu’avons-nous rapporté de notre chasse ce matin… ici aussi, mes lèvres sont scellées. Et puis le chien reçoit aussi sa part du butin, pour le remercier et le stimuler à suivre cette odeur.

En route vers le marché

Une fois rentré chez lui, le chasseur brosse les truffes soigneusement et les étale sur un torchon. C’est dans ce torchon qu’il les amènera le lendemain matin tôt au marché aux truffes du coin. Mais d’abord… un œuf brouillé avec de la truffe ‘fraîche’ finement râpée par-dessus, accompagné d’un verre de chardonnay rond et vieilli en fût de chêne, pour relever la saveur délicate de la truffe. Le meilleur lunch que j’aie jamais mangé !

Le lendemain matin, je les accompagne au marché. Il est très tôt, un vent glacial souffle sur les étals et les truffes sont méticuleusement examinées et pesées par les inspecteurs. Lorsqu’ils donnent leur feu vert, les premiers professionnels – chefs et négociants – débarquent immédiatement et sont suivis des ‘amateurs’ une demi-heure plus tard. Le prix final d’une truffe est aussi un secret bien gardé auquel je n’ai pas accès. La truffe – compte tenu de son faible poids – est l’aliment le plus cher au monde, mais sa capacité à rehausser le goût des plats est inégalée. En moyenne, une truffe pèse environ 35 g et elle suffit pour préparer un repas de roi pour quatre personnes. D’ailleurs, en termes de goût, il n’y a pas de différence entre les petites et les grandes truffes ; même avec quelques grammes – lamelles et brisures, par exemple – vous pouvez déjà créer une explosion de saveurs.

Explosion magique de saveurs

Son goût terreux plein et sa réputation d’aphrodisiaque faisaient déjà de la truffe un mets convoité par les Égyptiens et les Grecs dans l’Antiquité. Les Romains la considéraient comme un fruit divin, créé par la foudre. Le mystère qui entoure ses origines fait qu’au Moyen-Âge, la truffe a été qualifiée de ‘fruit du diable’ et a disparu des cuisines. Ce sont les cuisiniers de Louis XIV qui ont remis cet or noir à l’honneur. Brillat-Savarin, le grand maître de la gastronomie française, appelait la truffe ‘le diamant noir de la cuisine’. Et à juste titre ! La truffe est un véritable exhausteur de goût qui permet de sublimer les produits les plus simples.

Aujourd’hui, la truffe est toutefois loin d’être une plante mystérieuse. Il s’agit d’un champignon qui vit en symbiose avec les chênes et les noyers. Alors que les champignons ‘ordinaires’ sortent de terre, les truffes restent cachées dans le sol. Il n’est donc pas facile de les trouver ; un chien truffier entraîné est indispensable. Il faut ensuite les ‘déterrer’ littéralement et c’est un travail délicat.

Conseils de mon chasseur

Mon chasseur insiste toujours pour que j’achète de belles truffes noires, rondes et dures, avec une délicieuse odeur de terre. Les truffes molles sont de vieilles truffes. Si vous doutez d’avoir entre les mains un vrai melanosporum, grattez délicatement un peu de noir : un vrai melanosporum est rouge sous cette couche.

Mon chasseur, qui est aussi un bon chef, conserve ses truffes dans un bocal avec du papier essuie-tout, au réfrigérateur. Le papier essuie-tout est remplacé tous les jours. Il souligne que même une truffe très fraîche – comme celles que nous avons extraites du sol ce matin – ne peut être conservée qu’une semaine. Pendant la saison, ce n’est pas un problème, à mon avis, car il est possible de trouver de nouveaux spécimens presque tous les jours. Il glisse de petites truffes entre des œufs, aussi dans un bocal, il utilisera ensuite ces œufs pour préparer ses fantastiques œufs brouillés qu’il finalise avec quelques copeaux de truffe. C’est finement tranchée que la truffe libère toute sa saveur et son arôme.

Le soir, nous nous sommes attablés devant un grandiose ‘poulet aux truffes’. De fines lamelles de truffe ont été glissées sous la peau d’un gros poulet de Bresse, après quoi la bête a été enfournée pendant trois bonnes heures. Pour faire honneur à la truffe, un risotto à la truffe a été servi en entrée : un vrai délice ! J’ai moi-même préparé un jour des ‘linguine aux truffes’, avec une pincée de comté râpé. Je trouvais que le parmesan était trop fort dans cette recette. Bon appétit !

Mettez le cap vers le Périgord

Janvier et février sont d’excellents mois pour les amateurs de truffes dans le Périgord. Une vraie aubaine pour y passer quelques jours. Même le plus petit village organise régulièrement un marché aux truffes, généralement complété par d’autres produits locaux, avec des dégustations et, point très important, des animations musicales par une ‘Banda’. L’ambiance est assurée même s’il fait généralement un froid de canard. Il suffit de tenir les affiches à l’œil ou de consulter les sites suivants. Pendant que vous y êtes, n’oubliez pas de visiter Sarlat, une ville médiévale qui vous séduira immédiatement par ses ruelles étroites et ses places pittoresques aux magasins regorgeant de délicieux produits locaux !

[ Tine Bral – photos : Photothèque Dordogne ]