Cinq générations dans la bière et le vin

Située à Zaventem, la société De Keyzer Drinks fête ses 90 ans le 20 avril prochain. Une belle occasion de jeter un regard sur le passé avec Marc De Keyzer, son épouse Peggy Pint et leur fils Glenn.

Comment la société a-t-elle démarré ?

L’affaire a commencé en 1934 avec mon grand-père Edward De Keyzer, dans la ferme de ses parents avec un petit dépôt de bières. Vingt ans plus tard, il a commencé à mettre les limonades Vérigoud en bouteille. Il achetait le sirop en Angleterre, auquel il ajoutait de l’eau et du CO2…

A l’école, il a rencontré un certain Caymax, qui, après ses études d’économie, est entré chez Artois. Comme il savait que mon grand-père souhaitait se lancer comme distributeur de bières, il lui a proposé de distribuer de la Stella Artois sur la région de Zaventem, Kraainem, Wezembeek, Evere …

A cette époque, le transport était compliqué et se faisait avec les chevaux. Mon grand-père a fait cela avant et pendant la guerre – durant laquelle il fallut embouteiller la Stella, et c’est seulement après qu’il a eu des camions et que Artois a recommencé à livrer en bouteilles et en fûts.

Dans les années ’40 et ’50, il a continué à embouteiller la limonade et lors de l’Expo 58, il a reçu la visite des Allemands de Dortmunder Kronen qui lui ont demandé de ravitailler leur pavillon en bières. Ce qu’il a fait. Les pils allemandes étaient alors reconnues comme pils de luxe, bien avant Tuborg, Carlsberg ou Whitbread. En plus de la concession Artois pour la région, mon grand-père a donc pris la licence d’importation pour Dortmunder Kronen, sur Bruxelles et le Brabant.

Fin 1969, il a arrêté et mon père a continué en faisant alliance avec Artois. Ce fut donc De Keyzer-Artois Woluwé pendant sept ans. En 1977, mon père a choisi de devenir distributeur autonome et il a pu racheter les parts que mon grand-père avait vendues à Artois.

Quand arrivez-vous dans l’entreprise ?

Ma sœur et moi, nous sommes rentrés très tôt dans l’entreprise, en 1982, nous avions respectivement 18 et 15,5 ans… Cinq ans plus tard, notre père a décidé de se retirer et nous avons continué, ma sœur et moi, et vers 89-90, le mari de ma sœur nous a rejoints. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de développer un département d’importation de vins.

En réalité, mon père en vendait déjà un peu vers 1976 lorsque Artois a lancé le concept ‘drinks center’, car les tournées de porte à porte en camions n’étaient plus assez rentables. Dès 1978, il a créé un système de drive-in dans l’ancien dépôt du grand-père construit en 1948. Les gens rentraient avec leur voiture et on chargeait leurs commandes. Plus tard, le drinks center n’était plus drive-in : les clients venaient devant la porte, rendaient leurs vidanges et passaient leur commande que nous préparions immédiatement. C’était principalement eaux, bières et limonades, mais nous vendions également du whisky, cognac, genièvre et porto, qu’on achetait en jerricane de 25 litres et que l’on mettait dans un fût. Les gens venaient remplir leurs bouteilles eux-mêmes, c’était un peu le folklore.

Quand démarre l’importation directe ?

Lorsque mon beau-frère a commencé dans le drinks center, nous achetions les vins via Seagram’s, Cinoco, Somapo, etc., mais distribuer les vins dans l’Horeca, comme on le faisait avec la bière, ne me semblait pas avoir d’avenir, car on travaille pour les autres. Vers 1990, nous avons donc commencé à importer de France en direct. Aujourd’hui, nous ne sommes que deux à jouer le rôle d’importateur-distributeur de bières et à avoir vraiment développé un département ‘Vins’, avec importation de vins, spiritueux, café et thé.

A côté de la bière, si on voulait être rentables, il fallait avoir la totale sur le camion. Nous nous sommes alors concentrés sur une gamme de vins, bulles et café de haute qualité à prix raisonnables, avec des partenaires stables. Depuis 30 ans, nous avons aussi commencé l’achat de vins en primeurs : nous sommes aujourd’hui parmi les dix plus grands en Belgique. Mon beau-frère et mon fils Glenn faisons la sélection avec l’aide d’agents spécialisés dans chaque pays, qui connaissent notre style et nous conseillent.

Enfin, mon épouse Peggy m’a rejoint en 2000 pour exploiter le magasin, elle gère aussi au quotidien notre Shop Wines & Spirits depuis son lancement en 2020.

Comment définir le style De Keyzer ?

Cela a toujours été des vins au top avec un prix très correct. Nous vendons toutes les régions de France, d’Italie et d’Espagne, nous importons également d’Argentine en association avec un autre groupe familial, Bodegas Los Toneles, qui a racheté des petits domaines, cela nous permet d’offrir une très bonne gamme.

Quelle est aujourd’hui la part de la bière dans votre portefeuille ?

Depuis près de 30 ans, le département Eaux-bières-limonade est égal à celui des Vins-liqueurs. L’un tire l’autre selon les années, surtout dans l’Horeca où les gens veulent un food-drop (qui signifie que l’on a quasiment 90% de la carte des boissons). Nous travaillons aussi très bien avec les traiteurs, les entreprises qui font les eaux, les soft, les cafés et les thés, il faut être très large dans l’offre.

Depuis 2000, nous avons également noué un partenariat avec Caffè Molinari, une entreprise familiale depuis 5 générations dans la restauration, les entreprises et les particuliers. Idem pour San Benedetto que nous importons depuis 15 ans.

Comment a évolué le goût des clients au fil des années ?

Sur les 15 dernières années, on peut dire que les consommateurs consomment moins mais mieux. Plus informés sur les produits, ils sont devenus curieux ; il faut donc proposer la meilleure qualité, dans chaque segment de prix. Notre force est d’avoir le portefeuille et surtout la confiance du marché. A côté de notre département des boissons chaudes (thés, cafés), mon fils Glenn, qui a commencé il y a dix ans, a choisi de développer le marché des spiritueux, surtout premium.

Dans un autre domaine, on voit aussi depuis quelques années que les enfants et les jeunes sont très conscientisés par les boissons avec bouteille cautionnée, ils incitent leurs parents à aller chez un distributeur de boissons pour ne plus acheter du plastique. De notre côté, nos bouteilles sont consignées et récoltées. Côté environnement, nous avons installé 1500 m2 de panneaux solaires, nous sommes autosuffisants en électricité et même plus, car les voitures électriques arrivent ; les camions, ce n’est pas encore faisable.

Quelle est l’importance de votre société sur le marché belge ?

Notre entreprise emploie 25 à 30 personnes, pour un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros, nous figurons parmi les vingt plus grandes maisons. Pour renforcer cette place, nous devons rester attentif aux tendances, car le marché fluctue constamment, tout tenir à l’œil.

Dans la distribution, nous sommes conscients des difficultés de trouver du personnel qui s’accroche, mais nos équipes sont motivées et font chaque semaine les mêmes tournées ; nous livrons en moyenne 750 clients par semaine, nous avons ici ± 150 clés et codes d’alarme pour entrer dans les établissements, c’est toute une organisation qui décourage certains, mais c’est celui qui va faire le dernier mille qui sera gagnant…

Quel avenir pour la société ?

Nous venons de remanier toute la circulation de notre dépôt et nous avons lancé le 1er avril une nouvelle plateforme de vente en ligne. Mon objectif a toujours été de mettre les 100 ans sur la carte de De Keyzer. Comme mon fils travaille avec moi depuis 10 ans, le but est aussi d’amorcer la succession avant de célébrer le centenaire. J’ai 57 ans, et j’ai plein de projets que j’ai envie de développer. La seule chose qu’il faut, c’est la santé… et jusqu’ici, tout va bien !


[ Marc Vanel ]