C’est en général au courant du mois d’octobre que sont présentés en grande pompe les guides Gault & Millau pour l’année suivante. Présents : des chefs en masse ainsi que de nombreux sponsors. En Belgique, Gault & Millau est le guide de restaurants le plus répandu. Michelin suit en novembre, avec un peu moins de tamtam. Dans les semaines qui précèdent, les gastronomes, mais surtout les exploitants de restaurants, attendent avec impatience la publication de ces nouveaux guides. Parce qu’une meilleure évaluation dans les guides signifie plus de clients, une mauvaise évaluation est une tragédie.

Le travail des inspecteurs commence immédiatement après la présentation. Avant de prendre la route, les rédacteurs se rassemblent pour une réunion d’informations. Les restaurants qui ‘se qualifient’ ont reçu des questionnaires. D’autres restaurants sont portés à l’attention par des clients enthousiastes, ou leur existence est connue par le biais des médias sociaux et d’articles dans des magazines populaires.

Ces inspecteurs : certains guides en ont trois, d’autres des dizaines, ce qui n’est pas superflu dans un pays qui compte des dizaines de milliers de restaurants. Ils doivent être discrets et passer inaperçus, et ils paient leur addition. Ensuite, ils rédigent leur rapport.

Cependant, cette année n’est pas une année comme les autres. À la mi-mars, les restaurants ont fermé sans exception. La réouverture est autorisée depuis le 8 juin, mais dans des conditions strictes de distanciation sociale, ce qui complique la tâche du chef ou de l’exploitant. Le chef post-corona est soudain confronté à des torrents de gel désinfectant, le personnel court des semi-marathons entre les tables…

Et à présent, la question pour le guide : comment comparer un restaurant visité en novembre, décembre ou janvier avec un restaurant visité après le 8 juin ?

Et ce n’est pas tout : les économistes craignent qu’au lendemain de la crise, de nombreux établissements devront déposer le bilan. Les pessimistes citent le chiffre de 25 %. Et donc, publier un guide dans lequel un quart des adresses n’existent plus au moment de la publication, est-ce que cela a encore du sens ?

En ce qui concerne ces adresses : la gastronomie n’est actuellement à peu près possible que si une terrasse spacieuse est disponible. Mais installer une terrasse ‘à un niveau étoilé’ représente un véritable défi. Et qu’en est-il de l’automne/hiver et du mauvais temps ? Si l’inspecteur a pris un excellent repas sur la terrasse du restaurant X, en sera-t-il de même en automne, dans la salle intérieure à moitié pleine et dans des conditions totalement différentes ?

Des chefs de renom annoncent dès à présent que les choses vont bouger : Gert de Mangeleer rouvre Hertog Jan à Zedelgem, au moins temporairement. Le ‘Jeune Chef de l’Année’ Thijs Vervloet s’installe pour l’instant aux étangs d’Averbode, car il ne dispose pas d’assez de place à l’endroit actuel. D’autres, comme Matthieu Beudaert, changeront au moins temporairement leur concept. Jusqu’en septembre, Matthieu se tourne vers l’Italie avec la trattoria La Bicicletta sur la Sint-Maartenspleinje. Roger van Damme a fait savoir que, dans les circonstances actuelles, il n’ouvrira pas Het Gebaar pour le moment …

Des chefs qui ont déjà quelques années de bouteille, et qui dans certains cas, ont largement dépassé l’âge de la retraite, arrête tout simplement leur activité. Les ajustements nécessaires à la suite de Covid19 ne les concernent plus. Comme c’est le cas de Philippe Vanheule de Hof Ter Eycken à Ninove.

Bref : si des guides doivent être présentés cet automne, la question est de savoir dans quelle mesure les informations qu’ils contiennent sont encore pertinentes. Beaucoup d’adresses auront changé, et évaluer des restaurants avant ou après le corona, c’est comparer des pommes et des poires. Ils ne rivalisent pas à armes égales.

Par ailleurs, la réalisation d’un guide imprimé est un labeur qui ne se fait pas en deux coups de cuillère à pot : la relecture et l’interprétation des rapports des inspecteurs, la vérification des données (adresse, jours de fermeture, périodes de vacances) des restaurants, la rédaction… Généralement, la rédaction boucle le tout au courant du mois d’août, en tenant compte qu’une multitude de possibilités de petites adaptations peuvent survenir en dernière minute.

Nous réitérons donc notre question aux guides : comment allez-vous comparer un restaurant visité en novembre, décembre ou janvier avec un restaurant visité après le 8 juin ? Un guide pour 2021 sera-t-il, comme les années précédentes, publié à l’automne ?

Nous avons posé la question à Michelin et à Gault & Millau.

Pour Michelin, nous avons reçu une déclaration de Gwendal Poullennec, directeur international du Guide Michelin. Qui dit, en bref : « Nous sommes en train de développer une stratégie renforcée ‘Digital First’. Cela permettra une plus grande flexibilité, et nous serons mieux à même de répondre aux situations locales. Les inspecteurs pourront continuer à travail jusqu’à plus tard dans l’année, ils ont déjà pris leurs vacances pendant la crise du corona. Pendant la crise, nous informons les gastronomes en temps réel à propos de chaque établissement. Nous organiserons un événement dans chaque pays pour annoncer les étoiles, et si cela n’est pas possible en raison d’obstacles locaux, nous prévoyons de le faire de manière numérique. En aucun cas, nous ne pénaliserons les restaurants dans le climat économique actuel. »

Et chez Michelin, ils ajoutent : « La priorité va à présent au digital, mais cela n’exclut en rien l’impression. »

Nous avons également demandé à Gault & Millau de nous faire part de ses commentaires. Nous avons reçu une vidéo dans laquelle Justin Onclin, président, et Marc Declerck, PDG, déclarent que Gault & Millau continuera à travailler avec ‘un esprit ouvert et une compréhension des changements’. ‘Honorer plutôt que d’évaluer’, est la ligne directrice.

Texte : HW

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