Le fameux article publié le 10 novembre dans la revue Nature (1) et récemment relayé par de nombreux média mérite d’être lu attentivement… et contrairement à ce qui a été dit ne permet pas de conclure avec certitude que les restaurants seraient des endroits hyper contaminants !

Certains points de la méthode utilisée ainsi que les conclusions sont d’ailleurs remis en question par plusieurs scientifiques qui suggèrent aux auteurs de ne pas encore publier leur étude dans la célèbre revue avant de l’avoir affinée. Comme nous le verrons ci-dessous, les conclusions des auteurs eux-mêmes sont largement nuancées.

En conclure et afficher en gros titre de manière lapidaire que les restaurants seraient des endroits hyper contaminants est aller vite en besogne et témoigne d’un dangereux manque d’esprit critique …

Objet de l’étude :

Les auteurs de l’étude, Serina Chang et ses collaborateurs, ont analysé un ensemble de données fournies par la téléphonie mobile dans le but d’étudier l’impact de la mobilité sur la transmission du virus.

Afin d’analyser les déplacements des personnes depuis leur lieu de résidence vers des lieux non résidentiels tels que les magasins, les restaurants et les lieux de culte, ils ont modélisé les déplacements de 98 millions de personnes dans 10 grandes métropoles des États-Unis, du 1er mars au 1er mai 2020. (2)

Limitations :

Selon les auteurs eux-mêmes (3), l’étude contient de nombreuses limitations en ce qu’elle se base uniquement sur les données géolocalisées des téléphones portables.

Ce qui signifie que :

  • Les données obtenues ne couvrent qu’une partie de la population : celle qui dispose d’un téléphone portable. Leur analyse ne tient pas compte de toute une partie de la population telle que les écoles, les enfants de moins de 13 ans, les hôpitaux, les prisons, ou tout simplement les personnes qui ne disposent pas d’un téléphone …
  • les données ne couvrent que les endroits où le réseau mobile est fonctionnel
  • l’étude ne comprend pas des caractéristiques pertinentes telles que la transmission asymptomatique ; la variation de la taille des ménages ; les déplacements entre les régions métropolitaines ; les différences de sensibilité des personnes en raison de conditions préexistantes ou de l’accès aux soins ; les variations liées à l’âge etc.
  • l’étude ne tient pas compte de l’influence des divers comportements réducteurs de transmission comme le respect des mesures de protection sanitaire telles que se laver les mains, porter un masque etc. ou de certains facteurs propres à l’endroit tels que la ventilation des lieux

En conclusion, les auteurs eux-mêmes mettent le lecteur en garde contre une interprétation trop étroite ou limitative de ces données…

Résultats contradictoires :

Ailleurs les auteurs reconnaissent même que le résultat est contradictoire selon que l’on considère comme facteur de contamination :

  • A la fois la densité de personnes ET le temps passé dans un endroit
  • La densité de personnes seulement
  • Le temps passé dans un endroit seulement

Les restaurants semblent particulièrement contaminants dans l’hypothèse où à la fois la densité et le temps passé dans un endroit seraient déterminants.

Par contre, dans le modèle évaluant uniquement l’impact du temps où l’on est resté dans un endroit, en supprimant le facteur densité, les restaurants n’apparaissent plus que faiblement contaminants...  Que faut-il en conclure pour les restaurants où la distanciation sociale est respectée ??

Conclusion :

Il semble évident que la proximité avec des personnes infectées et la durée du temps passé avec ces personnes influent sur le risque de contamination.

Pour autant le postulat selon lequel le taux d’infection serait directement proportionnel au produit du temps passé sur place et de la densité de personnes infectées par unité de surface est remis en question. (4)

La principale conclusion des auteurs de l’étude est que restreindre la densité d’occupation de chaque endroit serait plus efficace que de réduire uniformément la mobilité.

Or ‘réduire la densité’, n’est-ce pas justement ce que la plupart des restaurants ont appliqué en respectant les règles de distanciation sociale ?

Il est clair que le déploiement des terrasses, la ventilation des lieux, le respect de la distanciation sociale ainsi que les gestes barrière sont déterminants ! Or ces facteurs ne sont pas pris en compte dans l’étude en question.

Celle-ci ne devrait donc pas être utilisée comme un étendard, ayant pour résultat de stigmatiser les restaurants de manière binaire et ô combien dommageable à notre secteur qui n’en avait décidément pas besoin !

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(1) « Mobility network models of COVID-19 explain inequities and inform reopening »
Serina Chang, Emma Pierson, Pang Wei Koh, Jaline Gerardin, Beth Redbird, David Grusky & Jure Leskovec
https://www.nature.com/articles/s41586-020-2923-3

(2) La première critique de certains détracteurs est de dire comment peut-on évaluer l’impact de la présence du public dans des endroits comme des restaurants ou des clubs de gym à une période où ceux-ci étaient largement fermés en raison du lockdown ? La réponse donnée est amusante : « cela ne signifie pas que ces endroits étaient vides car le personnel ou les propriétaires de nombreux restaurants y étaient présents pour préparer le take away » !
D’autres soulèvent l’ambiguïté de la division entre les restaurants (assis à table) et les bars et pubs classés dans la même catégorie.

(3)  Supplementary information. Point 5 : Model limitations »
https://static-content.springer.com/esm/art%3A10.1038%2Fs41586-020-2923-3/MediaObjects/41586_2020_2923_MOESM1_ESM.pdf

(4) « But there is nothing in the paper that suggests this assumption (transmission proportional to time x density of infected) is correct. » Revision for Nature manuscript 2020-06-10249A- Comment 3
https://static-content.springer.com/esm/art%3A10.1038%2Fs41586-020-2923-3/MediaObjects/41586_2020_2923_MOESM3_ESM.pdf

Texte : PVW

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