Collaborer à une rubrique récente dans un magazine, c’est comme arriver le premier jour dans un nouvel environnement de travail. Vous savez à l’avance qu’il vous faudra chercher et tâtonner. Je me suis donc quelque peu facilité la tâche, car l’adresse par laquelle nous allons commencer m’inspire une totale confiance.

Le chef Dries De Boeck est notre hôte aujourd’hui pour la rubrique ‘Un vin, un chef’ et notre titre est d’ores et déjà mis à mal, car Dries n’est plus seul en cuisine, son fils Artuur l’ayant récemment rejoint. Ils se sont déjà mis d’accord sur une chose : ils ne sont ni chef ni sous-chef. « C’est un tandem où il vaut mieux être deux à pédaler pour effectuer un plus long parcours » affirment père et fils avec conviction. Leur établissement est déjà le nouvel hotspot pour les vrais amateurs de vin et les gourmets qui apprécient une cuisine pure, où l’ingrédient occupe une place centrale, en toute simplicité et sans fioritures inutiles. Pendant vingt ans, Dries a travaillé pour Bartel Dewulf chez Belgocatering, mais depuis trois ans, il cuisine pour son propre compte à Lede.

Avec le printemps qui se profile à l’horizon, nous donnons déjà le coup d’envoi prématuré de la saison avec le tout premier vin du millésime 2024. Le vin fraîchement mis en bouteille apparait donc comme une substance vivante lorsqu’il coule dans le verre. Il est éclatant et scintille comme une voiture de sport rose saumoné flambant neuve. « Au nez, je sens la Provence avec cet air chaud et parfumé typique de romarin et de lavande », dit Dries en fermant les yeux.

« Les agrumes comme le pamplemousse et l’orange sanguine sont mis à l’honneur, et après avoir fait valser le vin dans le verre, apparaissent des notes florales comme l’eau de rose, la fleur d’oranger et les fleurs sauvages de printemps », poursuit-il. « Pour moi, le rosé doit procurer autant de plaisir au nez qu’en bouche et nous ne recherchons absolument pas la matière et la complexité profonde. Au contraire, car en réalité le rosé de Provence exhale une belle dose d’arômes, il est légèrement acide, discret en alcool et assez léger pour pouvoir être savouré tout au long de la journée. »

« Lorsque je bois un rosé comme celui-ci, je ne peux m’empêcher de penser à mon stage au Grand Hôtel de Saint-Jean Cap Ferrat (entre Nice et Monte-­Carlo­) et plus tard au Louis XV à Monaco. La seule chose que nous pouvions nous offrir pendant le service coupé était une bouteille de rosé, car nous n’avions pas d’argent pour autre chose. Un jour, le footballeur vedette de l’époque, Paul Gascoigne, est venu dîner et j’ai été autorisé à lui présenter le chariot de champagne. L’homme a été fasciné par mes explications et on m’a demandé de servir sa table pendant toute la durée du service. Il n’a pas laissé de pourboire, mais a demandé où le personnel aimait aller boire un verre après le service. Soudain, il est apparu dans le café où toute l’équipe buvait un verre. Il a payé une tournée mais aussi vingt-quatre bouteilles de rosé à l’avance dont nous avons profité pendant tout le reste de la saison. Le rosé de Provence stimule donc beaucoup ma mémoire », s’amuse Dries. « Mais je me revois aussi tremblant de tous mes membres le jour où ­Roger Soeveryns est venu nous rendre visite pendant notre stage et qu’il s’est ensuite assis à la table d’Alain ­Ducasse. »

« En bouche, on ne peut pas ignorer sa jeunesse. Des arômes primaires de fruits rouges légèrement acidulés se dégagent : fraises des bois, canneberges et groseilles à maquereau. J’aime bien cette acidité ludique de bonbon et cette buvabilité tout en souplesse. C’est un vin polyvalent et un exemple typique de la façon dont le rosé de Provence se démarque de l’offre moyenne du marché. Pendant ce temps, Dries sort un magnifique fromage de chèvre qui ressemble un peu à un toit. « Je vais l’incorporer dans le plat, mais il se marie déjà merveilleusement bien avec le vin tel quel. Il s’agit d’une Toiture ­Lochoise de la région de Touraine, dans le centre de la Loire. Je l’incorpore dans la persillade de mon plat ».

En parlant de plat ! Qu’avez-vous en tête pour nous ? « Nous avons commencé à réfléchir à la dernière minute et nous avons fait quelques achats ce matin. Au final, nous sommes très satisfaits du résultat et ce plat figurera certainement sur la carte saisonnière », déclare Artuur. « Pour moi, la Provence est synonyme de no stress.

Se lever le matin à la première heure, aller chercher des viennoiseries et lire le journal. Nous avons donc cherché un plat simple, savoureux et sans prise de tête. »

« Mon meilleur ami Bart est boucher », poursuit Dries. » Il élève le porc Cathem dans un village près de Ninove. C’est un croisement entre un Duroc et un cochon de campagne danois qui bénéficie d’un élevage biologique composé de paille pour alimentation. Nous avons découpé une basse côte que nous allons d’abord saisir dans l’huile, puis ajouter un généreux morceau de beurre, du thym et de l’ail. Nous allons bien la saisir et la cuire ensuite au four. A la viande, j’ajoute une persillade de chapelure, persil, brunoise de tomates concassées, ail, du fromage de chèvre, du sel et du poivre. Cette persillade est déposée sur la viande et l’ensemble est mis au four en position grill pendant un certain temps jusqu’à ce que la viande soit colorée ».

« En fait, vous avez suivi les traces de votre père, Artuur ? « Après son école hôtelière à Ter Duinen, mon père a travaillé à bord de bateaux de croisière pendant cinq ans et ensuite encore deux ans en Afrique du Sud. Après l’école hôtelière, j’ai terminé mon stage au Sel Gris à Knokke et je suis resté un peu à la côte belge, je suis en effet un peu moins aventureux. Quand le moment sera venu, je voudrais découvrir un peu plus le monde, mais pour l’instant, nous voyageons à travers les plats. Comme la garniture du plat d’ailleurs qui est la base de pâtes Paccheri cuites al dente, fondue de tomates, échalotes, persil et un peu de mascarpone. La tiède servie en accompagnement est finalisée avec des petites tomates (pelées) au miel et des asperges vertes blanchies ».

En compagnie du Maître Lieselotte, qui a contribué à faire naître ce temple du goût depuis son ouverture il y a trois ans, nous dégustons ensuite le plat et je dois dire que je suis fortement impressionné par le mariage entre le fruité enjoué du vin et la pureté de la cuisine !

Le mot du sommelier

Proche de Saint-Tropez, le domaine de la Rouvière produit de beaux vins sur sol argilo-calcaire classé dans les meilleurs terroirs. Les vendanges ont lieu de nuit pour préserver le caractère des cinsault, grenache et syrah qui le composent. Ce rosé vif, ample et fruité fédère dès l’attaque. Agréable fraîcheur, arômes de fruits rouges, ampleur, et finale équilibrée imposant un caractère de framboise. Vous l’apprécierez sur une salade niçoise, un rouget grillé farci de tapenade, un poivron farci ou quelques fraises au poivre.

 

 

[ Andy De Brouwer ]

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