Autrefois associés à des vins puissants et concentrés, les vignerons de l’AOP Châteauneuf du Pape ont entrepris depuis une dizaine d’années une mutation remarquable. Leur atout ? Quatre terroirs et treize cépages qui leur permettent de varier leurs vins à l’infini, en blanc et en rouge, et pour toutes les tables.

Pour appréhender la réalité du vignoble châteaunevois, le plus simple est de monter sur la colline où se trouve la tour de l’ancienne résidence d’été des papes et d’y contempler le panorama. Nous sommes ici au sud d’Avignon, sur un point central de confluences historiques : à 2,5 heures de l’Espagne, de l’Italie ou de la Bourgogne, entre la vallée du Rhône (qui sépare de l’Occitanie) et la vallée de l’Ouvèze, tristement célèbre pour ses
récentes inondations.

« De tout temps, explique Michel Blanc, responsable de la Maison des Vignerons, les gens sont passés par Châteauneuf et chacun est arrivé avec ses cépages. Ce château était un point stratégique pour surveiller le Rhône. Nous sommes ici à la verticale de la faille sismique de Nîmes et lorsque, il y a quelques dizaines de millions d’années, celle-ci s’est effondrée sur le nord-est de l’appellation actuelle, tout a bougé de 30 kilomètres, amenant galets roulés, argiles, sables et safres sur le socle calcaire. »

Quatre terroirs

Le vignoble de Châteauneuf du Pape est caractérisé par ces quatre terroirs et par sa gamme de treize cépages dominée par le grenache que l’on retrouve quasiment dans tous les vins de l’AOP, dans une proportion de 60 et 80%, parfois davantage. Outre la syrah et le mourvèdre, on trouve aussi des variétés moins courantes comme la counoise, le vaccarèse, le muscardin ou le terret noir. Les 280 producteurs ont donc le choix de multiples variantes, sans trop de contraintes. A une époque marquée par le bouleversement climatique et où certains aimeraient réhabiliter des variétés oubliées, cette liberté n’a pas de prix et évite de devoir passer en ‘vin de France’ pour expérimenter des vins originaux…

Mais ce qui frappe à Châteauneuf, c’est la conversion bio de près de 35% des 3200 hectares de vignes de l’appellation. « Le mouvement actuel de conversion est souvent initié par les jeunes qui reprennent la propriété familiale, souligne Michel Blanc. Mais c’est un engagement historique et continu depuis les années 1960. Cette démarche va de pair avec le développement de la biodiversité dans la vigne, l’écopâturage, la confusion sexuelle, la plantation de haies, le traitement des effluents, etc. »

Parmi cette nouvelle génération, beaucoup de femmes s’installent également. Cela permet de déconstruire l’idée que Châteauneuf est une appellation très masculine. L’heure n’est plus aux vins structurés, alcooleux, ‘parkérisés’, mais aux vins plus équilibrés, moins boisés, avec plus de fraîcheur et prêts à être dégustés plus rapidement, comme en témoignent certains producteurs que nous avons rencontrés.

Clos de l’Oratoire des Papes : la finesse du sable

« Nous avons les quatre terroirs, détaille François Miquel, directeur général de la maison Ogier (groupe AdVini), mais le sable est celui qui apporte le plus de finesse et donne les tanins les plus soyeux. Les galets roulés apportent aussi une belle structure, et donnent des rouges moins colorés, avec un style moderne, moins concentré. »

La production est certifiée bio, et l’iconique ‘Clos de l’Oratoire’ en blanc et rouge a été complété par ‘Les Chorégies’ dans les deux couleurs. (Vendu par Vasco et Velu Vins en Belgique)

Clos du Caillou : une valeur sûre

Installés à Sancerre, Sylvie et Jean-Denis Vacheron (décédé en 2002 dans un accident) reprennent le domaine familial à Courthezon en 1996 avec l’œnologue Bruno Gaspard. Les enfants – Axel, Marilou et son conjoint Antoine Robert – ont rejoint l’entreprise plus récemment.

« Nombreux sont ceux de notre âge qui prennent la suite de leurs parents, expliquent Marilou et Axel, et ont une grosse réflexion sur les pratiques dans le vignoble. Nous avons racheté le Domaine de Panisse qui nous a fait réfléchir sur les terroirs, ou utiliser plus de grappes entières, notamment. Nous voulons aussi un usage plus modéré et intéressant du bois. Nos terres sableuses sont très pauvres et donnent peu de raisins, mais excellents, et des vins qui acquièrent plus rapidement une souplesse tannique avec beaucoup de fraîcheur. Nous venons de Sancerre, nous avons été éduqués à cette acidité. » (Vente au Clos du Culot à Wavre ou aux Vins Brunin à Tournai)

Château de la Gardine : priorité aux vieilles vignes

Au nord-ouest de Châteauneuf, le Château de la Gardine appartient à la famille Brunel installée là depuis 80 ans et est toujous occupé par celle-ci. Beaucoup de vignes de 65 à 90 ans forment le domaine (54ha), avec de petits rendements (10 à 25hl/ha) et peu de raisins, mais de très haute qualité. Les quatre sols se retrouvent ici aussi avec un Mistral permanent qui assainit les vignes qui nécessitent dès lors peu de traitements.

L’une des fiertés du Château est sa production importante de Châteauneuf du Pape blanc dont la part dans la production globale flirte ici avec les 15%, contre 5 à 10 ailleurs. Les cuvées blanches assemblent roussanne, grenache blanc, clairette et bourboulenc, des vins bien épicés aux parfums de garrigue. (Vente : Baeten Vinopolis à Maaseik)

Le Cellier des Princes : réinventer la tradition

Créée en 1925 après la crise du phylloxera, l’unique coopérative de Châteauneuf du Pape compte 116 adhérents dont 30 directement sur Châteauneuf (600ha surtout sur galets roulés et safres), c’est le plus gros producteur de l’AOP. Les raisins des membres sont rémunérés selon leur qualité, et les vins seront commercialisés en bouteille et non en vrac.

La coopérative a réussi à s’entourer d’œnologues de qualité, dont feu Philippe Cambie qui a élaboré ici de 2017 à 2021 l’excellente cuvée Heredita (95% grenache et 5% mourvèdre) vendue à 39,95€. Assez rare pour une coop. La relève est assurée par Thierry ­Ferlay qui privilégie la fraîcheur dans ses vins et est responsable des cuvées parcellaires.

Très branchée sur l’œnotourisme, la coopérative met à disposition VTT et vélos électriques pour parcourir les 16km d’un circuit à travers les vignes. La production est vendue sur place (20%) et surtout en grande distribution et à l’export. La cuvée Hauts des Coteaux est proposée en business class de British Airways. (Vente : Nicolas)

Beaurenard ou l’excellence de la biodynamie

Dans la famille Coulon depuis sept générations, le Domaine de Beaurenard est exploité par Daniel Coulon, ses deux fils, Victor et Antonin, et son frère Frédéric. Le domaine compte 32ha en appellation Châteauneuf, tous en culture biologique, et même biodynamique (Demeter), sans utilisation de produits chimiques de synthèse, en phase avec la nature et le cycle lunaire.

« Depuis mon arrivée en 2016, explique Victor, il faut souligner deux faits majeurs. Tout d’abord, la cohésion du collectif des ‘Jeunes vignerons’ (qu’il préside – ndlr) qui a réussi à fédérer tous les producteurs lors du ‘Printemps de Châteauneuf’, un salon annuel qui se déroule en avril. Ensuite, surtout, la progression importante du bio, l’amélioration des pratiques viticoles, la mise en place de formations et conférences ouvertes à tous sur des sujets tels que l’enherbement, un sujet qui, il y a dix ans, n’intéressait que peu. Le collectif a également mis en place un réseau de 12 stations météo mutualisées qui permet d’avoir des prévisions précises et d’anticiper les maladies. Le fait d’être ensemble évite aussi les guéguerres de visions, c’est important. »

Parmi l’excellente gamme de vins, deux incarnent l’ADN de Beaurenard. Le ‘Châteauneuf rouge’ qui assemble les raisins des 13 cépages de l’AOP provenant de 15 parcelles toutes complantées et assemblées. Et ‘Boisrenard’ avec des raisins de 5 parcelles de vieilles vignes à haut potentiel de concentration, cueillies tardivement mais sans surmaturité. « Un vin qui a du verbe et sait le dire convenablement », conclut Victor. (Vente chez Vins Pirard à Genappe)

(Marc Vanel)