Le menu fixe est-il en voie de disparition ? Les clients sont-ils toujours désireux de faire des repas élaborés ? Ou préfèrent-ils une plus grande flexibilité sous la forme d’un repas à la carte ou de sharing plates de plus en plus populaires ? Il ne fait aucun doute que la scène culinaire est en train de changer. Raison pour laquelle nous avons interrogé trois chefs qui ont récemment modifié ou actualisé leur offre.

Le client demande, le chef exauce

Les menus tels que nous les connaissons sont aussi anciens que la gastronomie elle-même. Cela dit, les habitudes alimentaires des clients peuvent changer ou être influencées par des concepts tels que les formules de sharing. Mais cela signifie-t-il que les chefs doivent revoir aveuglément leur menu et offrir plus de flexibilité ?

« Absolument pas », affirme Harry Belmans qui, en compagnie de son épouse Tina Zlateva, exploite le Zjalto (13,5/20 au Gault Millau) à Geel. Zjalto est la traduction de jaune en bulgare et fait référence aux origines de Tina. « Chaque restaurant attire une clientèle différente. Il est essentiel de répondre aux attentes des clients sans perdre pour autant son identité de chef ».

Durant les premières années, Zjalto proposait aussi bien un menu fixe qu’à la carte. Cette décision a rapidement été abandonnée. « La demande à la carte était négligeable chez nous, alors qu’elle implique un surcroît de travail et des coûts supplémentaires. C’est pourquoi nous optons aujourd’hui résolument pour un seul menu, un menu dégustation où le client ne sait pas à l’avance ce qu’il va recevoir. Tout est une surprise et nos clients apprécient particulièrement cette approche ».

La flexibilité pour fidéliser le client

Karel Van Oyen, chef du Nonam à Gand (13/20 au Gault Millau) constate néanmoins un changement dans les habitudes alimentaires des clients. « Les clients souhaitent passer moins de temps à table, surtout au déjeuner. Le déjeuner d’affaires traditionnel, un dîner élaboré avec des collègues, des fournisseurs ou des partenaires, accompagné de vins appropriés disparait de plus en plus de la scène culinaire. L’essor du télétravail y est sans doute pour quelque chose », estime Karel. Nonam est un restaurant gastronomique situé dans le Patershol à Gand. Au début, Karel travaillait exclusivement avec des menus fixes, mais il a récemment changé son fusil d’épaule. Le midi ainsi que les mercredis et jeudis soirs, il est désormais possible de choisir entre un menu fixe et un menu à la carte. Le week-end, le menu à six plats reste la norme.

« L’accueil réservé à la possibilité de choisir à la carte a été très positif. Nos clients trouvent cela vraiment sympa. En outre, c’est un moyen pour nous d’impliquer davantage et mieux notre clientèle habituelle. Le menu change toutes les six semaines. En leur donnant plus de liberté de choix, nous constatons que les clients réguliers réservent une table plus rapidement, sans attendre un nouveau menu. »

Une enquête auprès des clients

Matthieu Beudaert de la Table d’Amis (Michelin 1* & 15/20 Gault Millau) a déjà testé plusieurs concepts et est donc bien placé pour nous faire part de sa vision. En 2009, il a lancé Table d’Amis de manière traditionnelle, avec un choix de menu fixe ou à la carte. Cela lui a porté chance : Michelin a rapidement récompensé le restaurant d’une étoile.

« Néanmoins, en 2018, j’ai décidé de changer complètement de cap. Pour être honnête, j’étais un peu fatigué de combiner un menu fixe et un autre à la carte. J’avais l’impression de ne pas pouvoir maîtriser parfaitement l’un et l’autre », explique Matthieu. « Mes préférences personnelles ont également joué un rôle : lorsque je mange moi-même au restaurant, j’apprécie d’avoir plus de flexibilité. »

Sous le nom de Beudaert, il a introduit le fine dining à la carte à Courtrai. Cependant, le concept n’a pas vraiment pris. « Avec le recul, je pense que la perception a joué un rôle. Les clients étaient habitués à la Table d’Amis, tandis qu’ils considéraient Beudaert comme une transition vers un concept de bistrot. Cela n’a pourtant jamais été mon approche », explique Matthieu.

Selon lui, le contexte dans lequel vous opérez est crucial. « À Anvers, par exemple, Misera propose également du fine dining à la carte, et cela fonctionne très bien. Mais la scène culinaire anversoise n’est pas comparable à celle de Courtrai. Anvers est une métropole où il y a de la place pour une plus grande variété et où le public est plus enclin à expérimenter des concepts culinaires moins traditionnels. »

Après la pandémie du COVID, Matthieu a rouvert Table d’Amis et a récemment lancé une enquête auprès de ses clients, notamment pour connaître leurs préférences. Les résultats ont montré que 41 % d’entre eux aiment être surpris par un menu, tandis que seuls 10 % choisissent explicitement de manger à la carte. Néanmoins, ­Matthieu a décidé de proposer à nouveau un ‘à la carte’ limité.

« Surtout pour nos clients réguliers. Pour eux, il est important d’avoir plus de choix, et c’est ce que je veux leur offrir. De plus, la carte nous permet de rester vigilants en tant qu’équipe. Elle crée une certaine vivacité d’esprit, alors qu’un menu fixe peut rapidement mener à la routine. Avec une offre limitée à la carte, nous sortons de cette routine », explique Matthieu.

Efficacité des processus et des produits

Bien évaluer les besoins de vos clients n’est qu’un aspect de la question. Il est au moins aussi important de mettre en place un processus efficace qui vous permet de gérer votre établissement comme une entreprise. « Quel que soit l’angle envisagé, un menu fixe reste le moyen le plus rentable d’offrir à vos clients le meilleur rapport qualité-prix», déclare Matthieu de Table d’Amis. « Avec un menu fixe, vous pouvez estimer le food cost avec précision car il y a peu de gaspillage, contrairement à une offre à la carte. En outre, vous pouvez optimiser vos processus, ce qui signifie que vous avez besoin de moins de personnel. En période de pénurie de personnel et d’augmentation des coûts salariaux, c’est un élément à ne pas négliger. »

Harry de Zjalto estime que l’augmentation du coût de la nourriture et du personnel est une des raisons pour laquelle de plus en plus de restaurants pourraient opter pour un menu fixe à l’avenir. « Si vous répercutez l’augmentation des prix de la nourriture et du personnel directement sur vos clients, vous risquez d’avoir un restaurant vide. En tant que chef, il est donc essentiel de tout organiser de la manière la plus rentable possible, sans faire de compromis sur la qualité. Pour nous, un menu fixe est la solution ».

Karel du Nonam, quant à lui, limite le food cost en incorporant des ingrédients du menu fixe dans ses offres à la carte et en gardant sa carte compacte. « De cette manière, je peux exprimer ma créativité en tant que chef tout en maintenant les coûts à un niveau raisonnable. En outre, tout ne doit pas nécessairement être cher. Nous servons ainsi à la fois des langoustines en entrée à la carte, mais également un plat végétarien avec betterave marinée, umeboshi et beurre blanc. Les deux plats sont appréciés au même titre par nos clients ».

Le bonheur au travail n’a pas de prix

Les prix des plats à la carte dans les restaurants gastronomiques sont souvent élevés en raison de l’utilisation d’ingrédients exclusifs. « Si vous combinez une entrée, un plat et un dessert, vous payez parfois plus cher que pour un menu à quatre plats. Cela pousse souvent les clients à opter pour un menu fixe », explique Matthieu de la Table d’Amis.

« C’est vrai, reconnaît Karel. « Mais c’est précisément l’idée. À la carte est un choix conscient où les prix sont transparents. Ce qui ne vous inspire pas, vous ne le choisissez pas. Il est donc logique que les clients réguliers commandent plus souvent à la carte, tandis que les nouveaux clients sont plus susceptibles se laisser surprendre par un menu.

Selon Harry de Zjalto, ce qui est vraiment inestimable, et souvent négligé, c’est le bonheur au travail du chef et de son équipe. « Le secteur Horeca reste un secteur où les longues heures sont la norme. C’est pourquoi se sentir bien au travail est extrêmement important. A la carte offre une certaine liberté créative qui permet de rompre avec la routine d’un menu fixe. »

Bien que Harry ne propose que des menus fixes, il trouve sa liberté créative en proposant un menu découverte. Comme les clients ne savent pas à l’avance ce qui leur sera servi, le chef dispose d’une plus grande marge de manœuvre et de créativité. « Nous avons notre propre potager et nous travaillons avec des fermes locales. Il m’arrive régulièrement d’adapter ou de remplacer un plat en fonction de la disponibilité des ingrédients. Je peux faire des ajustements subtils ou peaufiner les plats. C’est comme ça que je reste affûté en tant que chef », conclut Harry.

[ Saar Bentein ]