C’est la pleine saison du gibier. Et chaque année, la question se pose : quels vins pour accompagner ceux à poils et ceux à plumes ? Des rouges classiques, oui, bien sûr. Mais pourquoi – aussi – ne pas suggérer aux clients des alternatives tout aussi qualitatives, et en parfait accord, afin de sortir quelque peu de la routine ?
Bourgognes rouges, Bordeaux à dominante soit de merlot, soit de cabernet-sauvignon selon les types de gibier, vins du Rhône issus de la syrah, rouges du sud-ouest… Voilà des exemples – classiques – que l’on a tendance à privilégier. Avec raison. Mais à côté de ces vins français, des italiens, espagnols, portugais, chiliens, australiens, néo-zélandais, californiens… peuvent s’associer avec bonheur aux recettes giboyeuses automnales.
Les règles à suivre
Tout d’abord, il faut trouver un équilibre entre la puissance du plat en tenant compte du côté sanguin du gibier, de sa saveur prononcée ainsi que de la sauce (qui peut parfois être relevée) et le vin. Le gibier à poils peut être accompagné d’un rouge puissant, à la structure tannique encore un peu présente, un vin bien constitué. Celui à plumes appelle des rouges plus délicats. Il ne faut pas que le vin s’efface devant la puissance du plat. Il s’agit de trouver un juste équilibre. Pas toujours facile… L’âge du vin revêt aussi de l’importance. Assagi par quelques années de garde, il se montrera plus docile, davantage aisé pour accompagner le gibier.
Bourgognes et grands Bordeaux : aïe, les prix !
Mais débutons avec les grands classiques. La Bourgogne ? Le problème aujourd’hui, c’est leur prix. Les ‘premiers’ et ‘grands’ crus des Côtes de Nuits et de Beaune atteignent à présent des sommets. Même en les proposant avec un coefficient ‘raisonnable’, ils vont décourager une clientèle qui pourtant, souvent, les apprécie. Mais à côté des stars que sont Gevrey-Chambertin, Vosne-Romanée, Pommard, Chambolle-Musigny… il existe d’autres appellations voisines qui pratiquent encore des prix ‘corrects’ (ce qualificatif est évidemment relatif). Savigny-les-Beaune, Marsannay, Ladoix, Santenay, Maranges, Saint-Romain… A ne pas négliger non plus les villages de la Côte chalonnaise comme Mercurey, Monthélie, Givry.
A Bordeaux, en oubliant ici aussi les ‘grands crus classés’ (sauf exception : ceux qui présentent encore un prix décent), on choisira dans les innombrables château de Saint-Emilion et Pomerol. Cette dernière appellation devenue très onéreuse, on profitera du bon rapport prix/qualité de son satellite, Lalande-de-Pomerol. Toujours sur la rive droite, un peu en retrait sur le plan de la notoriété, Fronsac est à conseiller au vu de prix corrects. La dominante de merlot (sauf exception) engage à les associer plutôt à du gibier à plumes.
Sur la rive gauche, le Médoc (encore généralement dominé par le cabernet-sauvignon mais de moins en moins) incite à opter pour le gibier à poils : Saint-Estèphe et Listrac en tête.
Dans le sud-ouest, une appellation est à privilégier avec le gibier à poils : le madiran, issu du robuste cépage tannat. Assez tanique dans sa jeunesse, il se présente quelque peu assagi après 4,5 ans d’âge. Près de Bergerac, en Dordogne, la méconnue appellation Pécharmant est produite avec les cépages bordelais. Selon l’assemblage, il conviendra tant au gibier à poils que celui à plumes. Son atout : un excellent rapport qualité/prix et une bonne aptitude au vieillissement.
De la syrah du nord au grenache du sud
En Vallée du Rhône, la région septentrionale produit des rouges avec l’unique cépage syrah. Ce cépage, à l’accent très automnal, s’allie merveilleusement avec le gibier. Le Cornas, le Côte Rôtie, le Saint-Joseph et l’Hermitage, par exemple, apprécient celui à poils. Moins onéreux, le Crozes-Hermitage sera lui aussi un parfait compagnon avec ce type de gibier. Dans le sud, dans la région où le grenache est assemblé souvent avec syrah et mourvèdre, il apporte son côté chaleureux au gibier quel qu’il soit.
En Provence, le Bandol dominé par le mourvèdre, adoptera avec plaisir du gibier à poils (sanglier).
Piémont et Toscane
L’Italie présente deux régions qui peuvent sublimement épouser le gibier. Le Piémont, avec son cépage emblématique, le nebbiolo, produit deux appellations très renommées (mais chères) : le Barolo et le Barbaresco. Deux vrais vins de gibier (plutôt à poils) qu’il convient de servir assagis par les ans : au moins cinq. Outsider de la région, avec un prix intéressant : le Barbera d’Alba. Cette appellation a beaucoup progressé qualitativement ces dernières années. En Toscane, le cépage sangiovese domine les assemblages des appellations les plus en vue de la région : Brunello di Montalcino, Vino Nobile di Montepulciano, Chianti Classico. Le premier est devenu cher… Mais il demeure un des rois incontestés de la viticulture transalpine. Un bon plan : la méconnue appellation Maremma, très courtisée à présent par les grands producteurs toscans qui y achètent des vignes. Elle est née en 2012, majoritairement assemblée avec aussi du sangiovese (rouge) et est commercialisée à un prix honnête pour cette région.
Le Rioja mais pas trop marqué par un élevage en barriques
En Espagne, la Rioja reste la région emblématique pour les vins rouges même si l’appellation Ribera del Duero est devenue une réelle concurrente qualitative. Un Rioja classique pas trop boisé (‘crianza’) peut être un bon compagnon du gibier à plumes. Tandis qu’un ‘reserva’ (plus boisé) sera, lui, à même d’être confronté à du gibier à poils.
Hors Europe, on peut imaginer une puissante shiraz australienne avec du gibier à poils, un aromatique et soyeux pinot noir de Nouvelle-Zélande avec du gibier à plumes. En Argentine, un malbec sera aussi une alternative originale et une carmenère chilienne, cépage emblématique du pays, appréciera du gibier à poils. Sans oublier les excellents (mais onéreux) rouges californiens de la Napa Valley.
Quelques idées de bons accords
Avec un faisan ‘à la brabançonne’
Côte de Beaune Villages, Savigny, Saint-Emilion (ou un de ses voisins : Montagne, Lussac, Saint-Georges), Chianti Classico et Maremma de Toscane, Barbera d’Alba (Piémont)
Avec un perdreau rôti
De Bordeaux, un Pessac-Léognan, Pauillac et Margaux (Médoc), Rioja
Avec un canard sauvage
Saint-Joseph (Rhône septentrional), Madiran, Vino Nobile di Montepulciano (Toscane), Carmenère (Chili)
Avec du lièvre (‘à la royale’)
Cornas (Rhône septentrional), Châteauneuf-du-Pape et Gigondas (Rhône méridional), shiraz australienne
Avec un civet (sanglier, marcassin)
Bandol, Crozes-Hermitage ( Rhône septentrional), Cahors et Pécharmant (sud-ouest), Fitou (Languedoc), Zinfandel (Californie), Côtes du Roussillon Villages, Ribera del Duero (Espagne)
Avec du chevreuil et de la biche
Pinot noir de Nouvelle-Zélande, Pomerol ou Lalande-de-Pomerol, Côtes de Nuits Villages, Maranges, Santenay ; pinot noir d’Alsace (vinifié en rouge, même légèrement boisé).
[ Patrick Fiévez ]