Jeune chef bruxellois au parcours atypique, Elliott Van de Velde réinvente la cuisine avec passion et engagement social dans son restaurant Entropy. De ses débuts autodidactes à la création d’un restaurant zéro déchet, il prône une gastronomie durable, inclusive et solidaire.
Un parcours atypique mais ancré dans l’humain
Pour Elliott Van de Velde, la cuisine n’a pas été une vocation immédiate. « Je suis autodidacte », commence-t-il. « Après avoir quitté des études d’architecture, j’ai organisé des événements de nuit. Ce que j’aimais, c’était l’énergie collective, le lien humain. Ces aspects continuent de nourrir ma vision aujourd’hui.» Mais la graine d’une passion plus profonde avait déjà été plantée dans son enfance, au travers des souvenirs olfactifs de plats mijotés ou encore des cartes de restaurants que son grand-père collectionnait avec soin.
C’est au restaurant Al Barmaki que cette ferveur refait surface. D’abord manager en salle, Elliott se rapproche petit à petit des fourneaux. « Le chef Rik Kalash m’a donné ma chance. C’est une pointure à Bruxelles, et sa confiance a été un vrai déclic. » Il consolide alors ses bases grâce à des formations à Horeca Forma Be Pro, où il découvre le plaisir tactile et précis de la découpe de légumes. « Ironie du sort, je vais enseigner ces mêmes techniques dès janvier 2025, près de dix ans après les avoir apprises. »
Entrepreneuriat et collaborations de prestige
Fort de cette expérience, Elliott lance sa propre société de catering. Il y met à profit ses compétences en cuisine et en gestion pour travailler aux côtés de grands noms de la gastronomie belge, comme Yves Mattagne et Isabelle Arpin. « Ces collaborations m’ont appris à jongler entre l’exigence des chefs et les attentes des clients. » Parallèlement, il organise des dîners privés et des événements culinaires, tout en devenant consultant pour des acteurs de poids comme Bruxelles Expo ou le groupe Tero.
Mais cette ascension est brutalement freinée par la pandémie de COVID-19. « Du jour au lendemain, tout s’est arrêté. Plus de prestations, plus de contrats. J’ai décidé de transformer cette pause imposée en une opportunité utile.»
C’est ainsi que naît, en collaboration avec sa femme Adeline, l’ASBL Hearth Project. Elliott revient sur l’origine de Hearth Project. « L’idée était simple : organiser des événements avec des chefs étoilés pour cuisiner un repas gastronomique à partir d’invendus. Les bénéfices étaient reversés à des associations. » Aujourd’hui, cette mission perdure, grâce à une logistique bien rodée et des gens passionnés. « Depuis 2020, nous avons cuisiné plus de 300 tonnes d’invendus alimentaires pour des dizaines d’associations luttant contre la précarité alimentaire. Hearth, c’est bien plus qu’un projet social : c’est un écosystème. Nous livrons chaque semaine entre 100 et 150 repas à base d’invendus alimentaires. C’est une manière de conjuguer cuisine durable et impact social.» Elliott invite d’autres chefs à rejoindre ce mouvement. « Cela demande de la maîtrise et une équipe engagée, mais les résultats sont incroyables. »
L’aventure Top Chef et la consécration d’Entropy
En 2022, Elliott est sélectionné pour participer à Top Chef. Bien que son parcours dans l’émission soit court, il en ressort renforcé dans ses convictions. « Ma personnalité et ma vision d’une cuisine durable ne collaient pas vraiment avec les attentes du programme. Mais cela m’a motivé à rester fidèle à moi-même. »
Cette même année, il remporte l’appel à projets bruxellois Be Circular, obtenant un financement de 100 000 euros, et mène à terme une campagne de crowdlending sur la plateforme à impact Lita.co. Ces réussites lui permettent de concrétiser un rêve : ouvrir un restaurant durable et hybride en plein cœur de Bruxelles. Entropy voit le jour sur la place Saint-Géry. « C’était un pari audacieux, avec le contexte post-COVID, l’inflation énergétique et les défis liés au plan de mobilité Good Move. Mais nous étions convaincus que c’était le bon moment. »
Une cuisine durable et zéro déchet
Chez Entropy, le végétal est roi. « Nous travaillons à 97 % avec des produits végétaux. Ce choix, presque naturel, est aussi un défi créatif. » Elliott explique que chaque produit est exploité dans sa totalité, sans gaspillage. « Prenons le capucin : on peut utiliser les feuilles, les fleurs ou encore les câpres. Chaque partie du légume a une saveur unique. C’est une véritable source d’inspiration. »
Cette démarche zéro déchet oblige à repenser les processus. « Nous transformons ce qui est considéré comme un déchet en ingrédient gastronomique. Par exemple, les fânes de radis deviennent une huile, la peau de courge un tepache, et la cascara, issue de la torréfaction du café, se réinvente dans nos recettes. » Pour Elliott, cette créativité est l’avenir de la cuisine : « C’est une équation complexe mais passionnante. » Contrairement à une idée reçue, travailler avec des petits producteurs locaux est également tout à fait possible, selon Elliott. « C’est un choix avant tout. Certes, c’est un challenge logistique. Parfois, je dois adapter mon menu ou aller chercher une commande moi-même à 7 heures du matin. Mais cela en vaut la peine. » Il voit cette contrainte comme un moteur de créativité. « Les gros producteurs standardisent tout : goûts, calibres, couleurs. En travaillant avec des producteurs locaux, on cultive notre différence. »
Elliott souligne également l’importance de soutenir une agriculture durable et diversifiée. « Un légume comme la courge compte 12 espèces en Belgique, mais seulement 4 sont cultivées couramment. Nous essayons de changer cela, notamment en collaborant avec nos fournisseurs pour sécuriser nos filières et promouvoir des variétés oubliées. »
Outre sa dimension gastronomique, Entropy finance des repas pour les plus démunis grâce à Hearth Project.
Reconnaissance et perspectives
Élu Jeune Chef bruxellois de l’année par Gault&Millau, Elliott perçoit ce prix comme une validation de son approche. « C’est une reconnaissance pour tous ceux qui, comme moi, se sont formés sur le terrain et osent proposer une gastronomie différente. » Ce prix lui permet également de renforcer son réseau de fournisseurs, de consolider son équipe et d’attirer de nouveaux clients.
Pour Elliott, le végétal est un facteur d’inclusion. « Il fédère, car il ne discrimine pas. Les personnes intolérantes au lactose, les femmes enceintes, ou celles ayant des restrictions religieuses trouvent leur bonheur chez nous. » Ce souci d’inclusivité se reflète aussi dans les accords sans alcool, pensés avec autant de soin que les vins.
Un message pour les jeunes chefs
Ce n’est pas nouveau, l’Horeca est en plein changement, mais le jeune chef bruxellois reste optimiste : « Persévérez, même si vous êtes autodidactes ou si vous arrivez tard dans ce métier. Votre singularité est votre force. La diversité dans l’Horeca ne doit pas se limiter au genre, mais inclure aussi les parcours et les approches neurocognitives. La gastronomie a besoin de ces différences pour se réinventer. »
[ Muriel Lombaerts — photos : © Maurice Jaccard ]