Dans les coulisses de l’hôtellerie, la formation des jeunes talents est un véritable défi. Entre réalité du terrain et exigences académiques, les professeurs du restaurant didactique de l’Institut Ilon Saint-Jacques – Ecole hôtelière et de tourisme à Namur jonglent avec les imprévus et la pression du service. Rencontre avec ceux qui forment les jeunes professionnels de demain.

Un restaurant didactique, un laboratoire d’apprentissage

« Ici, à l’Institut Ilon Saint-Jacques, la structure est fortement axée sur l’hôtellerie. C’est la vitrine de l’école. Mais d’autres sections, comme le tourisme ou la vente, participent également à certaines activités », explique Patrick Presciutti, professeur en sommellerie.

Régulièrement, de grands banquets sont organisés pour accueillir près de 300 convives.

« C’est lors de ces événements que les élèves de la section tourisme prennent part à l’accueil et au service ». Une véritable synergie se crée alors entre les différents cursus. Au sein de l’école, les trois restaurants didactiques ne sont pas de simples exercices de style. Ce sont des outils pédagogiques essentiels. « Beaucoup d’écoles fonctionnent avec un restaurant où les élèves cuisinent et servent leurs propres camarades. Nous faisons pareil pour deux restaurant, mais nous avons aussi fait le choix d’accueillir une clientèle extérieure dans le troisième (au centre de la ville de Namur – Ndlr) pour les confronter à la réalité du métier. » précise le professeur présent depuis 33 ans dans l’établissement.

Les élèves y apprennent bien plus que la technique. Ils développent aussi des compétences humaines essentielles : le sens du contact, la gestion du stress, et surtout, la rigueur indispensable pour travailler en restauration.

La pression du service et les défis pédagogiques

Former la prochaine génération de professionnels de la restauration, c’est leur apprendre à gérer un tas de paramètres mais pour les professeurs, c’est aussi faire face aux aléas rencontrés dans tout le secteur. « Au-delà de la motivation, l’une des plus grandes difficultés, c’est l’absentéisme. Un élève manquant, et c’est tout le fonctionnement qui est déséquilibré. Dans un restaurant qu’il soit didactique ou classique, on ne peut pas se permettre ce genre d’imprévu », confie le chef d’atelier et professeur en 7ᵉ traiteur Benoît Steinier.

Le professeur doit souvent mettre la main à la pâte. « Parfois, l’aspect pédagogique passe au second plan parce qu’il faut assurer le service et accueillir le client comme dans un restaurant classique ». L’équilibre entre formation et exigence professionnelle est fragile.

« Il y a des jours où tout roule et on prend le temps d’expliquer chaque geste. Et puis, il y a les jours de galère où il faut aller vite et faire avec les moyens du bord. »

L’apprentissage passe aussi par l’erreur. « Un plat mal exécuté, un mauvais dosage dans une sauce, et c’est tout un service qui peut être affecté. Mais c’est aussi ainsi qu’ils apprennent.»

Un apprentissage entre réalité et contraintes

Le restaurant didactique est le seul ouvert au public parmi les trois de l’établissement. « Nous avons des clients fidèles qui reviennent chaque semaine. Parfois, ils oublient qu’ils sont dans une école et attendent une expérience gastronomique digne d’un grand restaurant. Nous leur rappelons parfois gentiment que ce sont des élèves qui travaillent en cuisine et en salle. »

D’un service à l’autre, la même recette peut être différente, car elle est réalisée par des élèves en formation. Il faut faire comprendre aux clients qu’ils assistent et prennent part à un processus d’apprentissage.

Le rythme scolaire impose aussi des contraintes. « À 14h30, les élèves doivent quitter leur poste pour rejoindre leurs cours généraux. Ce n’est pas toujours facile de faire comprendre aux clients que leur repas doit se terminer à l’heure. »

L’expérience permet également de développer la capacité d’adaptation des élèves. « Un jour, un élève peut être commis en cuisine, le lendemain, il est en charge du dressage des assiettes. Ils doivent être polyvalents et réactifs. »

Un encadrement exigeant et structurant

Les élèves de sixième sont répartis sur la semaine. « Chaque classe est divisée en deux. Une partie en cuisine, l’autre en salle. Ils inversent ensuite leurs rôles pour expérimenter les deux aspects du métier ».

L’encadrement est assuré par des professeurs expérimentés. « Nous sommes deux en salle et deux en cuisine lorsque les classes sont complètes. Parfois, un seul professeur gère un groupe. » Un véritable challenge, surtout en cuisine où l’erreur se paie cash. « Une sauce ratée, une cuisson approximative, il faut tout recommencer. En salle, un sourire et un bon service permettent de rattraper certaines maladresses », affirme Patrick.

Le passage du monde scolaire à la réalité du terrain est une étape cruciale. « On les accompagne pour qu’ils gagnent en confiance et en autonomie. Mais parfois, il faut répéter les mêmes choses vingt fois. Et encore, ce n’est pas toujours acquis », avoue le professeur avec un sourire. « Ce que j’apprécie en tant que professeur depuis 3 ans à Ilon St-Jacques, c’est que c’est une école assez familiale, où nous connaissons chacun de nos élèves » ajoute son collègue.

Un investissement financier et humain

L’expérience est enrichissante, mais elle a un coût. « Une année en sixième revient à environ 900 euros tout compris. Les élèves mangent quatre fois par semaine, et nous veillons à ce qu’ils aient des produits de qualité ». En effet, dans la mesure du possible, l’école tente de collaborer avec des producteurs et artisans locaux notamment pour les fromages ou encore les vins. « Nous aimerions le faire plus régulièrement et de manière pérenne mais ce n’est pas évident ».

L’école veille également à offrir aux élèves une formation immersive, en contact direct avec la réalité du secteur. « L’éducation au goût fait partie de notre mission. Ils doivent apprendre à apprécier ce qu’ils cuisinent ».

Le restaurant didactique est un passage essentiel pour ces futurs professionnels. « Il nous permet de les préparer aux exigences du terrain, tout en leur offrant un espace d’apprentissage sécurisé ». Un équilibre précieux entre exigence et indulgence, pour donner naissance à la nouvelle génération de l’Horeca.

Événement au Château de Spontin : une expérience grandeur nature

Chaque année, les élèves du restaurant didactique ont l’opportunité de participer à un événement d’envergure en dehors de l’école. Cette année, le 12 avril 2025, ce sera au Château de Spontin. Cet événement unique leur permettra de mettre en pratique leurs compétences dans un cadre exceptionnel, en servant plusieurs centaines de convives dans un décor historique.

« C’est une véritable immersion dans l’univers de la gastronomie », explique Benoît Steinier à l’initiative de cet événement. « Les élèves découvrent une autre facette du métier : l’organisation logistique d’un grand événement, la gestion du timing, et surtout, l’adaptation à un environnement inconnu. C’est un moment clé pour eux : ils prennent conscience de l’importance du travail d’équipe et de la rigueur nécessaire dans ce métier. »

Ce type d’expérience leur permet aussi de se confronter à des standards exigeants. « Ils doivent s’adapter rapidement à un rythme soutenu et répondre aux attentes du public présent. »

L’événement au Château de Spontin mêlera donc tourisme, gastronomie mais aussi artisanat local et animations médiévales. « Les élèves traiteurs proposeront un parcours gourmand de cinq stands mettant en avant des produits locaux, tandis que des confréries médiévales assureront spectacles et animations. L’événement aura aussi une dimension caritative, avec l’intégration active des résidents du Château Vert, un centre pour personnes handicapées, et la totalité des bénéfices reversée à cette association. » Environ 500 personnes sont attendues. Les inscriptions se font dès à présent via la page Facebook ‘Jacques à table’ ou par mail à hotellerie@ilonsaintjacques.be.

[ Muriel Lombaerts ]