Depuis 30 ans, le chef Ivan Verhelle officie au teppanyaki de son restaurant japonais Tanuki à Brugges. L’homme idéal donc pour nous guider à travers la cuisine japonaise.

De kaseiki à bento

Ivan : « La cuisine kaiseki est née de la cérémonie du thé et pourrait être qualifiée de cuisine ‘gastronomique’ japonaise. Il s’agit d’une cuisine locale, saisonnière et très légère, composée de 14, 16 ou 18 plats, tous de très petites portions raffinées, déterminées par le chef. Vous ne mangez jamais seul mais en compagnie de proches dans une salle séparée donnant généralement sur un petit ou un très grand jardin et vous bénéficiez toujours d’un service individuel assuré par un serveur désigné pour votre groupe. L’idée est de profiter pleinement de la nourriture et des produits du moment : les premières fleurs de cerisier, les premières pousses de bambou, les premiers shiitakes et autres champignons, etc. Se rendre dans un restaurant kaiseki est un véritable événement que l’on ne fait qu’une fois par an.

« Cependant, les Japonais mangent souvent à l’extérieur. Ils vivent généralement à l’étroit, surtout dans les villes, et peu d’entre eux disposent d’une cuisine bien équipée. Dans chaque ville, il existe donc un large choix de restaurants ‘quotidiens’, qui ont chacun leur spécialité : sushi, tempura, teppanyaki, etc. Les Japonais ne passent pas toute la soirée, de l’apéritif au dessert, dans un seul restaurant. Dans l’un, ils mangeront des sushis et/ou des sashimis, dans un autre des tempuras, dans un autre encore des teppanyakis et une fois leur repas terminé, ils quittent l’établissement car les clients suivants attendent déjà. On passe donc d’un restaurant à l’autre.

« Chez nous, les sushis sont synonymes de cuisine japonaise, mais ils n’en sont qu’une petite partie et ne sont pas représentatifs. Un Japonais mange des sushis tout au plus une fois par semaine, souvent sous forme de plats à emporter qu’il achète en grande surface pour la maison ou à la gare afin de les consommer sur le pouce durant le trajet. Préparer des sushis à la maison est trop fastidieux, de plus ils peuvent les acheter à petit prix, qu’il s’agisse de nigiri, des boules réalisées à la main recouvertes d’un morceau de poisson, de makimono, des sushis roulés dans une feuille de nori, ou de chirashi, des sushis parsemés où, dans un bol ou une coupelle, le riz que l’on verse dans le fond est recouvert de toutes sortes de poissons (crus). Ces derniers sont les moins chers et s’achètent au supermarché pour être consommés le soir à la maison avec une soupe au miso. »

« Les izakayas, qui s’apparentent à nos bars à vin, sont très populaires, surtout en début de soirée ou pour se retrouver entre amis. Ils sont spécialisés en boissons, en particulier le saké ou les bières, et les accompagnent de petits plats. Ils pratiquent parfois le ‘sharing’, mais en réalité, un izakaya est avant tout un lieu réservé à la consommation de boissons. D’ailleurs, on peut y boire du saké de qualité à un prix très abordable et des bières en bouteille que l’on ne trouve nulle part ailleurs. »

« Parmi les restaurants les plus populaires, mais aussi les plus chers du Japon, on trouve les restaurants teppanyaki, qui ont vu le jour après la Seconde Guerre mondiale parce que les diplomates et les hommes d’affaires étrangers n’avaient aucune envie de manger de la cuisine japonaise tous les jours. À Osaka, on faisait cuire des crêpes salées sur une plaque et les Occidentaux ont estimé que l’on pouvait également y ajouter un morceau de viande. Les premiers restaurants étaient installés dans les hôtels. Chaque table était équipée d’une de ces plaques chauffantes autour de laquelle six, huit ou dix personnes prenaient place, commandaient de la viande et des légumes que l’on faisait frire pièce par pièce devant le client. Ces restaurants étaient coûteux, car pour six ou huit personnes, un chef était désigné qui restait aux fourneaux pendant toute la journée. Aujourd’hui, les restaurants teppanyaki sont des restaurants de luxe très chers où les Japonais vont manger tout au plus une fois par an.

« Typiquement japonais est le bento, soit une boîte divisée en petits compartiments et que l’on consomme en tant que lunch. Le bento est toujours un assortiment. Le bento de base à 100 yen, 3 euros – remplit l’estomac, mais il n’est pas des plus attrayants en termes d’apparence ou de produits. Les bentos à 300 yen sont, quant à eux, à deux ou trois étages et remplis de plats de premier choix. Dans tous les bentos, l’idée est de tout rassembler dans une seule boîte sur la table, même dans les restaurants de bento les plus chers qui ne servent que des bentos à l’heure du midi. Vous choisissez vous-même l’ordre dans lequel vous consommez les plats. »

Les produits 

Ivan : « Le Wagyu, connu dans le monde entier et très à la mode chez nous depuis quelques années. ‘Wa’ est l’ancien nom du Japon, ‘gyu’ signifie bœuf. Le wagyu qui provient du Japon est un wagyu à 100 %. Le wagyu européen est généralement un 50/50 : une mère wagyu et un père Angus, un produit très correct d’ailleurs. En France, on élève du wagyu 100 % pour lequel une femelle Limousin servant de mère porteuse porte un ovule de wagyu fécondé. Il en résulte des bovins wagyu permettant de poursuivre l’élevage, mais ici, l’alimentation et les exercices donnés aux animaux sont aussi déterminants que leur origine.

«Le poisson représente 80 % de l’alimentation au Japon. Ils servent encore toujours du thon, mais comme chez nous, il s’agit de poisson d’élevage. Les piscicultures le font très correctement de nos jours et cela se goûte à la première bouchée. Aux Pays-Bas, ils ont un très bon élevage de hamachis et je l’utilise depuis un certain temps. Pourquoi devrais-je faire venir du poisson congelé alors que nous avons tellement de bon poisson frais ici ! Je me limite toutefois, car servir six ou sept types de poissons est largement suffisant, il n’est pas nécessaire d’en servir 20 comme au Japon.

« Le miso est une pâte obtenue à partir de graines de soja fermentées, cuites et pressées, à laquelle on ajoute une bactérie pour la fermentation. Cette pâte est soit broyée et tamisée, soit laissée à l’état brut. Pour la soupe miso, on ajoute une partie de cette pâte à un bouillon dashi, ainsi qu’un peu d’algues, un peu de poireaux ou de champignons selon la saison, un peu de légumes. C’est ce que les Japonais boivent pendant leur repas.

« Le dashi est élaboré avec de véritables flocons de bonite, mais ceux-ci ne sont pas bon marché. Les petits grains de bonite pressés et moulus constituent une bonne alternative, leur saveur est toutefois légèrement moins forte. Ils sont pratiques à utiliser et les ménagères japonaises en ont toujours pour leur soupe miso. »

« La cuisine japonaise est une cuisine saine en soi, mais elle présente un inconvénient majeur : la teneur en sel due à l’utilisation de la sauce soja principalement. Au Japon, les gens l’utilisent encore avec parcimonie, mais les Occidentaux ont vite fait de penser que le bol de sauce soja qui accompagne les sushis doit être vide. Dans les meilleurs restaurants japonais, le chef passe et badigeonne délicatement les sushis d’un filet de sauce soja. Très subtilement, car la sauce ne doit pas annihiler la saveur du sushi. Il n’est pas question d’immerger complètement les sushis dans la sauce ! Le riz absorbe alors la sauce soja et perd sa fermeté. Il faut donc toujours tremper le côté poisson dans la sauce soja et non le côté riz. »

« Le saké, l’alcool de riz, commence à jouir d’une belle popularité chez nous. Jadis, on se plaisait à penser que le saké était une boisson chaude bon marché qui se buvait rapidement, un peu à la manière d’une pils chez nous. Pas désagréable en effet, mais ce n’est pas là le meilleur saké, qui lui est servi froid. Le saké ne contient que trois ingrédients : de l’eau, du riz et un koji, une bactérie qui le fait fermenter. La qualité dépend de l’eau – qu’elle provienne directement de la source ou non – et du degré de polissage du riz. Moins le riz est poli, moins le saké est cher. Plus il est poli – il ne reste parfois que 20 kg sur 100 kg – plus le saké est cher. Le saké est souvent consommé au cours des repas, mais aussi en apéritif. Le saké chaud est très apprécié quand il fait froid dehors. Lorsque vous entrez chez un Japonais, il vous offrira une cruche de saké chaud, qui est le ‘saké maison’ habituel. En France, il existe une production de saké à base de riz camarguais. Une entreprise japonaise participe à son développement et ce saké est même exporté vers le Japon.

Oishï, bon appétit !

[ Tine Bral – photos : © Marc-Pieter Devos ]