La Thaïlande est et reste une destination exotique de choix proposant l’une des meilleures cuisines du monde. Mais comment distinguer l’authentique cuisine thaïlandaise de la cuisine thaïlandaise grand public qui s’est imposée dans notre pays en partie due à l’influence touristique?

Nous sommes allés nous renseigner chez Boo Raan à Knokke-Heist, le seul restaurant thaïlandais en Belgique à bénéficier d’une étoile Michelin, ainsi que chez Kin Khao à Gand, élu ‘Meilleur Restaurant Thaïlandais’ par Gault&Millau en 2020.

Le 11 janvier 2021 est une date qui restera dans les annales pour Boo Raan, le restaurant thaïlandais de la cheffe Dokkoon Kapueak et du propriétaire Patrick De Langhe, situé à un jet de pierre de la gare de Knokke. Ce jour-là, le restaurant obtenait sa première étoile Michelin, parce que selon le guide, vous y dégustez ‘un tourbillon de saveurs venues du nord-est de la Thaïlande’. 

Auparavant, en 2018, le restaurant avait déjà été proclamé ‘Meilleur Asiatique du Benelux de l’Année’ par Gault&Millau; une consécration qui ne s’est pas fait attendre puisque le restaurant n’avait ouvert ses portes que fin 2016.

Au total, on estime à quelque 250 le nombre de restaurants thaïlandais que compte notre pays, dont environ 180 en Flandre, une quarantaine à Bruxelles et une trentaine en Wallonie. Ces chiffres incluent également quelques restaurants thaïlandais de plats à emporter. 

Mais à l’instar de nombreux restaurants chinois dans notre pays, certains restaurants thaïlandais proposent aussi et surtout des variantes européennes des plats traditionnels du pays.

« Nombreux sont en effet les restaurants thaïlandais qui adaptent la saveur de leurs plats et même de leurs épices aux goûts ­européens », nous explique Dokkoon Kapueak, cheffe du Boo Raan. « Ces saveurs sont souvent influencées par les voyages touristiques que font les gens en Thaïlande. Beaucoup de farangs (étrangers en thaï) ignorent d’ailleurs comment les plats thaïlandais sont préparés de manière traditionnelle. On part généralement du principe qu’un plat peut être qualifié de thaïlandais dès qu’il est épicé ; c’est faux bien sûr. Les mots curry et coriandre aussi sont utilisés à tort et à travers pour qualifier un plat de thaïlandais. Et donc, la notion ‘restaurant thaïlandais’ est également souvent mal utilisée. »

Comment expliquer cela ?
« Il y a deux raisons à ce phénomène », complète Patrick De Langhe, propriétaire de Boo Raan. « Il est d’une part plus ‘facile’ de se procurer du basilic cultivé en Belgique que du vrai basilic thaïlandais, et d’autre part tout ce qui est importé est bien sûr plus cher à l’achat. Pour nos légumes frais, nos épices et notre pâte de curry, nous travaillons exclusivement avec un petit producteur situé dans la périphérie de Bangkok. Une fois par semaine, nous faisons venir nos ingrédients par avion. Nous mettons un point d’honneur à donner à nos plats le goût que la cuisine thaïlandaise est censée avoir, sur la base de recettes et de traditions vieilles de 1.000 ans. »

Quelle est la différence entre le basilic thaïlandais et le basilic italien?
« Vous sentez bien la différence, parce que le basilic thaïlandais a un léger parfum anisé qui ne caractérise pas le basilic italien », explique la cheffe. « Le basilic italien est également moins adapté aux préparations incluant des piments. »

Vous mettez l’accent sur les produits frais préparés selon des techniques culinaires traditionnelles. Comment cela se traduit-il concrètement ?
« Pour vous donner un exemple : il existe une différence entre préparer une pâte de curry dans un mixeur classique ou la préparer, comme nous le faisons, dans un mortier à la manière de nos grands-mères dans la jungle thaïlandaise. Elle livrera incontestablement un arôme différent. »

Y a-t-il beaucoup de différences entre les laits de coco?
« Je les teste tous, parce qu’il existe en effet beaucoup de différences », signale la cheffe. « Généralement, le goût est identique, mais change dès que vous commencez à le cuire. Le lait de coco que j’utilise personnellement pour les préparations de curry est d’ailleurs différent de celui que j’utilise pour les desserts. Et ne pas utiliser trop d’eau est la règle d’or. »

Boo Raan s’inspire de la cuisine d’Isaan, la région située au nord-est de la Thaïlande et qui forme une frontière avec le Laos et le Cambodge. Des influences de ces pays sont-elles également présentes ?
« La caractéristique de la cuisine d’Isaan est que les gens mangent avec les doigts. Dans 80 à 90% des cas, vous verrez la population locale manger le sticky rice (riz gluant) avec les doigts. Sinon, ils utilisent une fourchette et une cuillère ; vous ne verrez jamais de couteau. La cuisine d’Isaan et celle du Laos et du Cambodge sont très proches, par exemple pour la préparation de la salade de papaye et du sticky rice. » 

Dans quelle mesure le food sharing est-il important dans la cuisine thaïlandaise ?
« Le food sharing a été la toute première tradition dans notre cuisine, et nous continuons à mettre l’accent sur cette tradition. Cela créé également une atmosphère animée, que nous voulons faire régner dans le restaurant. Nous ne faisons pas non plus de distinction entre une entrée et un plat principal. Les plats ‘à la minute’ sont directement servis du wok, du gril ou d’une simple casserole qui mijote sur le feu à l’assiette. 

Comment décririez-vous un authentique barbecue thaïlandais ?
« Vous pouvez le comparer à un barbecue coréen. Pour le barbecue thaïlandais, la cuisson se fait dans un four thaïlandais Tao en argile, utilisé depuis de nombreuses générations en Thaïlande. Ce four en argile chauffe rapidement, de sorte que la partie supérieure de la poêle devient vite chaude. Le dessus du four est conçu pour s’adapter à des poêles et/ou des casseroles de différentes tailles.

Ceux qui veulent s’y essayer peuvent s’inspirer du livre ‘De Thaise keuken van Boo Raan, sharing gerechten van Dokkoon Kapueak» (La cuisine thaïlandaise de Boo Raan, sharing plates de Dokkoon Kapueak), publié chez Lannoo. Dans ce livre (220 pages), la cheffe parle de la bonne façon de préparer les plats thaïlandais et de reconnaître les bons ingrédients. Le livre contient plus de 60 recettes traditionnelles thaïlandaises ‘to share’ : phad thaï (le plat thaïlandais par excellence), krapaw épicé (plat au wok à base de poulet), tom yam khung aromatique (soupe de crevettes) et un authentique barbecue thaïlandais.

Le kin Khao : classique et authentique comme fil conducteur

Comment pouvez-vous, en tant que consommateur, être sûr qu’il s’agit bien de la ‘vraie’ cuisine thaïlandaise? 
En quête d’une réponse, nous nous sommes rendus au Kin Khao (qui signifie ‘manger du riz’ en thaï), situé dans la Donkersteeg à Gand, élu ‘Meilleur Restaurant Thaïlandais de Belgique’ par le Gault&Millau en 2020, et qui obtient actuellement 13,5 sur 20 dans le guide. Selon le propriétaire Dominique Rongé et le chef et partenaire Santisuk Pakwan, deux éléments jouent un rôle important. 

« Tout d’abord, il convient de travailler avec les bons ingrédients pour le bon plat », explique-t-il. De nos jours, ‘tout’ est disponible en termes d’ingrédients, cela ne peut donc plus être une excuse ; il y a 15, 20 ans, c’était en effet différent. Les grossistes Horeca disposent également maintenant des meilleurs produits thaïlandais tels le basilic, la citronnelle, etc. Nous travaillons avec une épicerie thaïlandaise locale à Gand qui importe régulièrement des légumes frais et des ingrédients de Thaïlande. » 

Le deuxième élément concerne les techniques de cuisson appropriées. Comment prépare-t-on par exemple un curry parfait, quelle huile utiliser pour quel plat, ou pour la cuisson au wok, et à quelle température ? D’ailleurs, la seule bonne manière de cuisiner au wok est au gaz. Il est en effet (très) difficile d’obtenir une température homogène et très élevée en peu de temps sur une cuisinière électrique ; le gaz est donc la meilleure méthode. »

Les chefs ont bien sûr leur propre préférence, rien de plus logique, mais personnellement je m’en tiens aux recettes authentiques et traditionnelles. Mais rien ne vous empêche de varier, parce que dans notre cuisine traditionnelle flamande aussi, certaines grands-mères cuisinent différemment des autres. On constate toutefois trop souvent que les ingrédients ne sont pas les bons et/ou que des techniques de cuisson erronées sont utilisées. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous continuerons aussi à l’avenir à viser l’authenticité. » 

Existe-t-il également des cuisines régionales en Thaïlande ?
« La Thaïlande peut être scindée en quatre régions », selon Dominique Rongé. Vous avez la Thaïlande centrale et Bangkok, suivie au nord par les villes connues de Chiang Mai et Chiang Rai, ensuite Isaan dans le nord-est du pays, et enfin une quatrième région culinaire dans le sud et sur les iles. Les saveurs, les épices et les ingrédients différent d’une région à l’autre. 

Dans notre restaurant, nous ne nous cantonnons pas à une région particulière, et si vous voulez revivre l’expérience culinaire de Phuket après des vacances exotiques, vous pouvez venir ici pour une préparation de poitrine de porc à la sauce de soja noir, un crabe au curry jaune et aux nouilles de riz ou une mousse de poisson cuite à la vapeur dans une feuille de bananier. La cuisine de Phuket diffère également de celle des autres régions culinaires thaïlandaises en raison de l’influence des techniques culinaires et des ingrédients chinois et malais. »

[ Danny Verheyden ]