Apparus dans les années 1970 aux Etats-Unis, les ‘food courts’ ont progressivement laissé place aux food markets, dont notamment Wolf et Fox à Bruxelles, et bientôt un nouveau venu dans le haut de la ville. Rencontre avec l’un de ses deux créateurs, Thierry Goor, qui annonce déjà les ‘living markets’.

A l’origine, que ce soit outre-Atlantique ou chez nous, les food courts sont des lieux qui rassemblent plusieurs enseignes de restauration, dont le but est de nourrir le plus de monde le plus rapidement possible. Plus tard, les food halls ou food markets vont se développer dans les grandes villes (touristiques) d’Europe. Des méga-enseignes telles que Eataly en sont un parfait exemple. On attend d’ailleurs toujours l’ouverture de leur adresse bruxelloise, en face de la Bourse…

Ces lieux illustrent le changement d’habitudes des consommateurs plus enclins qu’avant (la crise sanitaire) à sortir de chez eux pour se restaurer, mais aussi à vivre une expérience, comme l’explique Thierry Goor, l’une des deux têtes pensantes de Fox.

« Chaque fois que l’on me parle de food court, cela me hérisse », précise-t-il dès le début de notre rencontre. « Food court, c’est devenu vraiment mainstream, avec des marques que l’on retrouve partout. Le food hall, ensuite, est la combinaison d’un marché traditionnel classique avec la possibilité d’y manger. Enfin, le food market, c’est plus des marques d’artisans, donc peu ou prou présentes ailleurs. J’ai fait pas mal de choses dans ma vie, la dernière en date étant ce que je fais actuellement, et je ne fais jamais deux fois la même chose, tous nos projets sont différents et ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on peut les faire évoluer. Ne pas rester figé sur une même idée, sur une même chose, mais aller beaucoup plus loin.

Et dans cet esprit-là, je pense qu’on va passer très vite des food markets aux living markets. C’est-à-dire que l’expérience doit être encore beaucoup plus vaste que simplement la nourriture. Ce qui se passe ici, à la Galerie Bortier (lieu de notre rendez-vous – ndlr) préfigure cette expérience-là. Hier matin par exemple, il y avait des lectures de contes pour enfants, ce soir il y a un Comedy Club. C’est varié et divers, et il se passe toujours quelque chose. Au Wolf, on a initié des marchés aux plantes ainsi qu’aux vêtements de seconde main. »

Bruxelles-Anvers

Ouvert fin 2019 dans les anciens locaux de la CGER rue Fossé aux Loups, le Wolf a immédiatement rencontré un incontestable succès populaire, notamment chez les jeunes et les expats. Un lieu très fréquenté et bruyant, diront certains, mais on y trouve dix-sept restaurants qui invitent à un véritable tour du monde culinaire, avec pâtes, pizzas, burgers, sushis, plats grecs, pâtisseries, etc. Mais aussi une microbrasserie qui brasse des bières artisanales et locales sur place. La déco a été faite avec des éléments existants, réaffectés à d’autres fonctions. Les panneaux des comptoirs en marbre sont par exemple devenus comptoir du bar et les barres de cuivre de ces mêmes comptoirs sont désormais utilisées comme lampes dans les toilettes.

L’an dernier, un petit frère du Wolf a été installé dans le Felix Pakhuis à Anvers. Même concept mais moins de restaurants (dix, quand même), trois espaces de rencontre et pas tout à fait les mêmes partenaires. Rebaptisé Wolf Sharing Food Club, cet entrepôt permettait de stocker autrefois des marchandises en vrac, telles que le grain, le houblon, le sucre, le fromage, le café, le thé ou le vin. Détruit il y a plus de 50 ans par un incendie, le lieu a été rénové et abrite également 35 kilomètres d’archives de la ville d’Anvers, en plus de la tanière du Wolf.

Du loup au renard

Pascal Van Hamme (groupe Choux de Bruxelles) et Thierry Goor, avec la complicité notamment du brillant architecte Lionel Jadot, se sont ensuite attaqués à la création du Fox dans le bâtiment (brutaliste) qu’occupait autrefois la compagnie d’assurances Royale belge sur le boulevard du Souverain. Un nouveau food market qui annonce « offrir l’alliance parfaite de la bistronomie et de la street food à Bruxelles » et qui se veut « un lieu de rencontres et de découvertes autour de différentes thématiques et ateliers. Des événements tels qu’un marché aux plantes, un atelier cuisine, un marché vintage, etc., sont organisés régulièrement et sont ouverts à tous. »

Totalement excentré des circuits habituels de restauration, le lieu fonctionne non-stop de 8h à 22h, et souvent plus tard, et ne désemplit pas. On y vient pour une heure ou pour une demi-journée. Un DJ vient chatouiller les oreilles des gastronomes, même en culottes courtes. L’espace est ici totalement différent du Wolf, plus aéré, avec 750 places dont une magnifique terrasse de 300 places sur le plan d’eau intérieur de l’immeuble et seulement douze chefs (dont deux anciens candidats top-chefs) avec 12 propositions de ‘streetonomie’. Ambiance familiale et détente assurée à des prix plus que démocratiques. Enfin, à l’arrière du Fox, un projet de ferme urbaine indoor se dessine, mais il est trop tôt pour le détailler.

Mixer Horeca et commerce

Située au cœur de Bruxelles, à deux pas de la Grand-Place, la Galerie Bortier offrit longtemps la densité de la plus grande de librairies de livres neufs et d’occasion. En 2022, la Régie foncière de la Ville de Bruxelles lança un appel à manifestation d’intérêt pour l’occupation de certaines cellules de la Galerie vides depuis plusieurs années. Après quelques vicissitudes, Thierry Goor et ses associés ont décroché le marché pour y développer un mix de livres et de bistronomie, ainsi qu’un café littéraire. Avec des lectures, des dédicaces, des causeries. Une ambiance hautement conviviale dans laquelle on peut déguster les charcuteries de Dierendonck, les fromages de Sœurs, du poisson, des plats indiens, syriens, libanais et italiens. Et on peut s’installer n’importe où pour manger, il y a beaucoup de places.

Cette nouvelle expérience fait d’ores et déjà évoluer la notion de food market, et le duo d’entrepreneurs prépare déjà la prochaine ouverture : « Ce sera Porte de Namur, poursuit celui qui se définit comme chef de meute, on va faire quelque chose de complètement immersif avec la reproduction d’une véritable rue asiatique (avec sons et odeurs) dans l’ancien parking de la rue Saint-Boniface. Nous disposons là de trois plateaux de 1000m², les travaux ont commencé à l’automne déjà. C’est un projet complètement dingue parce qu’il y a cette partie immersive au rez-de-chaussée mais aussi au premier étage une micro-brasserie ainsi qu’un énorme magasin de fringues de seconde main – les jeunes aujourd’hui en sont friands– et un magasin d’aïki-noodles qui seront cuites sur place pour 5 euros et avec 10 toppings différents. Nous visons très clairement les students mais on veut faire du volume là. Enfin, le deuxième étage reste très open. Dans cette salle, on va avoir un marché aux vinyls, aux plantes vertes, des défilés avec possibilité de privatisation. »

Et lorsque l’on demande à Thierry Goor, les clés de sa recette, il répond sans hésiter : « Je pense qu’il y a 4 éléments indispensables pour réussir un food market. C’est d’abord un bâtiment ou un endroit iconique ou atypique. C’est le cas dans tous nos lieux et à présent avec ce parking. Deuxièment, une nourriture de super qualité. Nous avons régulièrement réunion avec nos équipes pour évaluer les plats qui fonctionnent ou pas, et comment les améliorer le cas échéant. Troisième chose, il faut un design, une déco qui soit vraiment totalement différente. Enfin il faut faire vivre ces lieux par des événements ponctuels ou récurrents, destinés à tous public, enfant, touristes, Bruxellois, provinciaux… Je pense que les gens qui font des food markets classiques sans ajouter toutes ces couches, il y a un moment où, comme pour tout, le public va se lasser. Chez nous, ça fonctionne excessivement bien. Ce sont des endroits fort bruyants certes mais voilà, cela correspond à un certain type de clientèle.

Notre prochain lieu sera assurément très rock’n’roll, je ne connais pas de lieu pareil dans le monde… On va l’appeler food bazar mais en mettant trois petits points, en laissant l’ambiguïté, c’est un joyeux bordel pour le dire, pour le faire court. »

[ Marc Vanel ]