Enracinée depuis le XVIᵉ siècle dans le Penedès en Catalogne, la Familia Torres a fondé sa cave à Vilafranca del Penedès en 1870. Aujourd’hui, la cinquième génération élabore des vins issus de vignobles uniques et de domaines historiques. Elle récupère également des variétés de vignes ancestrales et développe la viticulture régénératrice. Visite.
La lutte contre l’urgence climatique est une des lignes d’action de la Familia Torres depuis 2008, à travers des actions visant à réduire les émissions de CO2. Avec une présence historique dans la région du Penedès, Conca de Barberà, Priorat et Costers del Segre, la Familia Torres possède également des vignobles et des caves dans les principales régions viticoles espagnoles (Rioja, Ribera del Duero, Rueda et Rías Baixas), ainsi qu’au Chili et en Californie. Elle est également membre de Primum Familiae Vini, une association regroupant 12 des familles viticoles les plus prestigieuses d’Europe qui détiennent notamment Sassicaia, Vega Sicilia, Beaucastel, Pol Roger, etc.
Miguel Torres a traduit son engagement en étant l’un des cofondateurs de deux structures majeures de la lutte contre le changement climatique : l’International Wineries for Climate Action et l’Association of Regenerative Viticulture. Cette dernière regroupe un ensemble de techniques permettant de séquestrer du carbone dans les sols viticoles pour en augmenter l’activité biologique et lui redonner vie, mais uniquement avec des matières organiques qui se trouvent sur le vignoble : couverts végétaux, fertilisation organique, présence de ruminants dans les vignobles et absence de labour sont les principaux éléments de la démarche. Originaire de Nouvelle-Zélande, ce type de démarche est encore peu répandu en France, mais très populaire aux Etats-Unis notamment ou au Chili.
Recherche et expériences
En plus d’une viticulture bio sur quasiment l’ensemble de ses vignobles, la Familia Torres s’est depuis de nombreuses années intéressée aux variétés anciennes capables de résister à la sécheresse, l’un des fléaux de la région.
Elle a également développé, non loin du siège de la société, un remarquable conservatoire d’une soixantaine de variétés anciennes, dont certaines ne sont même pas encore répertoriées, comme les forcada, pirene, moneu, Querol ou autres Gonfaus.
Initié en 2008, le programme Torres & Earth a pour ambition d’atteindre le Zéro Carbone en 2040. En 16 ans, une première réduction de 37% a été atteinte, avec un taux espéré de 60% en 2030. Pour ce faire, une dizaine de projets sont menés dans les domaines de l’optimisation énergétique, de l’architecture durable, du développement des énergies renouvelables (panneaux solaires, biomasse), de la gestion des déchets et du recyclage des eaux, de l’agricuture régénérative ainsi que de la R&D+i (réduction des pesticides).
Les vins
Représentée en Belgique par Le Wine, Torres propose plusieurs dizaines de vins dégustés pour partie en compagnie du ‘Chief Winemaker’ Josep Sabarich, tous d’une qualité irréprochable et souvent très abordables. Voici quelques cuvées disponibles pour l’Horeca :
Salmos 2020, DO Priorat : un assemblage de cariñena et de garnacha, ample et puissant, avec une remarquable acidité. Juste ce qu’il faut de bois pour donner plus de puissance au fruit.
Perpetual 2019, DOQ Priorat : on change de registre ici avec ce vin issu de vignes de cariñena de 80 à 100 ans avec un peu de garnacha. On découvre ici une acidité concentrée, typique du Priorat avec une finale dominée par des arômes de framboise.
Purgatori 2021, DO Costers del Segre : on se dirige clairement vers le Paradis avec un mix garnacha et cariñena dans une région où il est obligatoire d’irriguer pour éviter l’évaporation et la déshydratation des raisins. Un vin très expressif et intense, riche en myrtilles, airelles et griottes.
Milmanda 2021, DO Conca de Barberà : produit dans le sud de la Catalogne depuis 1985, ce vin blanc offre une belle expression du chardonnay, avec beaucoup de fraîcheur en bouche, grâce à un passage en barriques de 300 litres, puis dans des foudres de 1500 litres avant de vieillir sur lies en cuves pendant un an.
Mas La Plana 2019, DO Penedès : changement de style avec ce cabernet sauvignon issu d’une propriété en agriculture régénérative depuis 2020. De belles épices, de la structure et une acidité moyenne, avec vieillissement en fûts de Cognac et de Bourgogne.
Grans Muralles 2019, DO Conca de Barberà : assemblage haute couture pour ce vin qui intègre cariñena, garnache, quarol, monastrell et garró mûris sur des sols caillouteux et chauds. Structure et tannins soyeux, rondeur et fluidité.
Fransola 2023, DO Penedès : issu d’un domaine historique dans une des zones les plus élevées du Penedès, ce sauvignon blanc surprend par sa jeunesse et sa vivacité. Léger et agréable.
Clos Ancestral 2023, DO Penedès : assemblage de moneu, tempranillo et garnacha, ce rouge très versatile s’accorde avec de nombreuses spécialités locales. Il existe également en blanc (85% forcada et 15% xarel-lo), ces variétés s’adaptant parfaitement au changement climatique.
L’aventure américaine de Jean Léon
Depuis 1996, la fille du patron, Mireia Torres, gère dans le Penedès les vignobles commercialisés sous la marque Jean Leon, dont l’origine est assez rocambolesque. Né à Santander en 1928, Ángel Ceferino Carrión Madrazo, le futur Jean Leon, commença sa vie comme carrossier, un job qu’il abandonne pour tenter sa chance en France où il travaille comme serveur et interprète. Son ambition est toutefois de partir au Guatemala.
Sans le sou, après plusieurs tentatives ratées, il embarque comme passager clandestin sur un paquebot qui ne le mène pas en Amérique du Sud mais… aux Etats-Unis. A son arrivée à New York, il commence à travailler comme plongeur dans un bar et suite au vol de ses papierspapiers, il décide de se faire naturaliser sous le nom de Justo Ramón León : il travaille le jour comme chauffeur de taxi sous le permis 3055 et la nuit comme serveur dans
des palaces.
S’ensuit une vie pleine de rebondissements, impossible à résumer en quelques lignes, durant laquelle il côtoiera les plus grandes stars d’Hollywood et ouvre son propre resto, La Scala, où il se constitue une cave de plus de 25.000 bouteilles de vin.
L’étape suivante fut l’achat de 150ha de vignes dans le Pénèdes où il remplaça les cépages locaux par des variétés importées de France – cabernet sauvignon, cabernet franc et chardonnay. Les vins sont à l’époque envoyés dans son restaurant de Beverly Hills. En 1996, peu de temps avant sa mort, la Familia Torres rachète la propriété et s’engage à perpétuer le nom de Jean Leon.
Ici aussi la viticulture régénérative est appliquée et la biodiversité promue dans tous les domaines. Parmi les vins dégustés, retenons un étonnant xarel-lo 2023 aux délicieuses arômes d’agrumes, Vinya Gigi d’une longueur remarquable ou encore La Scala, 100% cabernet vieilles vignes, qui vieillit 5 ans avant d’arriver sur le marché. A servir sur toutes les bonnes tables.
[ Marc Vanel ]