C’est un phénomène constaté dans de nombreux pays. Le vin rouge n’a plus la cote, surtout auprès des jeunes. La préférence mondiale semble se diriger plutôt vers le vin blanc et encore toujours le rosé même si sa consommation est en légère diminution. Alors, la question : pourquoi le vin rouge n’est-il plus autant apprécié ?
Il est difficile, en Belgique, d’avoir des chiffres significatifs qui appuient cette évidence. Chez nos voisins français, le constat est sans appel : entre 2011 et 2022, la consommation de vin rouge a baissé – chuté – de 30% ! Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. On peut reprocher à ce type de vin son côté prétentieux, ‘corseté’, voire ringard pour une génération Z qui recherche, notamment, moins d’alcool dans le vin. D’où le succès de la bière. Il est vrai que depuis une dizaine d’années, le degré d’alcool des vins rouges, surtout sud-
européens, flirte allègrement avec les 14° voire jusqu’à 16°. Elles sont loin les années septante qui, en France, voyaient les consommateurs acheter du vin de table à 10°,11° pour la semaine gardant le 12° pour le dimanche… L’alcool est lié à des vendanges très mûres, trop d’extraction, trop d’élevage en bois : les années Parker, du nom de ce célèbre critique américain qui a imposé son goût dans le monde vinicole, semblent heureusement révolues. Mais pas pour l’alcool.
Or, il semble que la tendance, on revient aux souhaits des jeunes, se dirige vers des rouges frais, fruités, plus légers, plus faciles. Les jeunes, mais pas qu’eux, souhaitent dans leur ensemble désacraliser, décérébraliser la dégustation et ses qualificatifs d’initiés. Le blanc, lui, parait plus décontracté que le rouge et répond aussi à un besoin de légèreté. D’autres atouts ? Il semble, pour beaucoup de consommateurs, moins complexe, moins codifié, plus identifiable que les rouges par leurs cépages et implique une consommation plus décomplexée. S’il fut longtemps accusé de maux de tête, le succès mondial actuel du blanc est indéniable. Le cépage chardonnay, dans les pays anglo-saxons, est quasi assimilé à une marque. On demande au bar ou au restaurant un verre de chardonnay sans préciser l’origine. Un cépage qui recueille également beaucoup de succès auprès des femmes.
« Les repères changent, il faut s’affranchir des codes établis »
Certains observateurs estiment que la baisse de la consommation de rouge peut aussi être liée à la diminution des ventes de bœuf. Mais alors, quel est donc l’avenir du vin rouge ? Michel Chapoutier, ancien président d’Inter Rhône (le comité interprofessionnel des vins de cette région), producteur et négociant, estime « qu’il faut remettre le rouge au goût du jour. Les repères changent, il faut s’affranchir des codes établis ». Il a sorti un rouge à 12°5. Ce ‘Vin de France’, de type clairet (couleur entre le rosé actuel et le rouge), se veut frais et léger. Grenache et syrah ont été vendangés en sous maturité et le vin été partiellement désalcoolisé. Une pratique autorisée en Europe. Pour Michel Chapoutier, il faut également servir le rouge plus frais. La température de service peut influer sur la perception du consommateur. Celui-ci regrette trop souvent des rouges servis à une température inadéquate. Un beaujolais proposé à 20° en été… Mais le seul rouge n’est pas affecté à une époque où la consommation régulière de vin en général tente à disparaître parmi les jeunes, celle-ci étant devenue occasionnelle. Dans le monde des boissons alcoolisées, seule la bière acquiert de nouveaux consommateurs.
Des statistiques, celles d’Euromonitor, constatent donc une baisse des ventes de vins rouges en Belgique. Depuis 2018, à l’exception de 2021. « La tendance est identique pour les blancs mais cela concerne des volumes inférieurs. Quant aux rosés, leur évolution est légèrement différente mais après avoir bénéficié d’un pic en 2021 (47,3 millions de litres), ses ventes ont légèrement baissé l’année dernière » nous dit Julie Galot, communication manager chez Vinum & Spiritus, la fédération belge du secteur vins et spiritueux. Les chiffres qui suivent concernent donc les ventes totales (pas la consommation) sans distinction entre celles effectuées dans la distribution (le retail), celles ‘en ligne’ et celles de l’Horeca.
En France, la consommation de vin est très différente. Le blanc est passé en tête devant le rosé et le rouge. Une étude Nielsen est significative concernant cette consommation chez nos voisins du sud : dans l’univers des vins bénéficiant de l’A.O.C., les vins blancs ont accueilli plus de 192.000 foyers en trois ans (2019-2022) alors que les rouges en ont perdu 600.000 et les rosés 300.000. Des blancs qui bénéficient aussi d’un avantage, celui d’être servi à l’apéritif, ce qui élargit leur consommation par rapport aux rouges.
Alors, dans cette conjoncture, que proposer prioritairement aux clients ? Surtout aux jeunes ?
Des rouges légers (‘light reds’, comme disent les Anglo-Saxons) à servir impérativement un peu frais (autour des 15°). Décriés voici peu encore, les rouges du Beaujolais (les Villages, les Crus) sont à nouveau tendance. Leur qualité s’est nettement améliorée grâce, notamment, à une nouvelle génération de producteurs. Ils sont de plus présents sur les cartes grâce, aussi, à d’excellents millésimes récents (2022, 2023).
Le cépage pinot noir alsacien est aussi une bonne idée. Souple, sur le fruit, il reste très consensuel. Parmi les cépages également peu taniques (les tanins rebutent les nouveaux consommateurs), le merlot est aussi une bonne approche. Du Pays d’Oc, par exemple. Et aussi de Bordeaux lorsqu’il est majoritaire dans les assemblages des satellites de Saint-Emilion, par exemple (à des prix intéressants). Toujours en France, voilà un cépage du futur : le cinsault. Planté majoritairement dans le sud, il permet de vinifier des rouges peu alcoolisés. En Italie, le Dolcetto piémontais, le Bardolino, le Valpolicella sont des rouges assez légers que l’on peut servir aussi légèrement rafraîchis.
[ Patrick Fiévez ]