Geert Gheysels, notre chef Taste du mois, est formel : la sauce est la base de toute cuisine. Dans la brigade classique, le saucier était l’homme le plus important après le chef, il déterminait presque littéralement la saveur de chaque plat. Mais qu’est-ce qu’en fait la ‘sauce’ ? Citons brièvement le primitif Larousse Gastronomique : ‘Liquide plus ou moins épais, aromatisé, servi froid ou chaud en accompagnement d’un plat ou utilisé dans sa préparation. Une sauce doit apporter une saveur harmonisante à ce plat ». Partons à sa découverte !
Du Moyen-Age à Escoffier
Epicées ou aigres-douces, telles étaient les sauces, si tant est que l’on puisse qualifier ces liquides de la sorte, qui donnaient du goût aux repas médiévaux. Elles étaient dérivées du garum et du nard de l’Antiquité romaine. À partir du XVIIe siècle, les ‘arômes liquides’ devinrent un peu plus sophistiqués. Pensez aux sauces, toujours utilisées, telles que la béchamel, la soubise et la mayonnaise, pour n’en citer que trois.
C’est Antonin Carème (1784-1833) qui entreprit de classer les sauces en sauces froides et sauces chaudes. Il partagea ensuite les sauces chaudes, la grande majorité, en sauces brunes et sauces blanches. Les sauces de tête, dont les variantes étaient innombrables, devinrent espagnole, demi-glace et sauce tomate pour les brunes, béchamel et velouté pour les blanches. Dans chaque cas, un roux, à savoir un mélange de beurre noisette ou non et de farine, était censé lier les liquides pour donner de l’épaisseur à la sauce.
Les sauces de tête froides sont généralement la mayonnaise ou la vinaigrette et, là aussi, il est possible de varier à l’infini.
Retournons un instant à notre Larousse et apprenons que : ‘En fonction des plats que la sauce accompagne, tous les ingrédients, les exhausteurs de goût et les épices possibles peuvent y être ajoutés. Certaines associations de saveurs sont classiques, comme le mouton et le poisson au curry (à l’indienne), le cabillaud à l’ail (aïoli), le canard à l’orange (sauce bigarade), le gibier aux groseilles (sauce Cumberland). Dés de porc, tomates en tranches, anchois, duxelle, jambon effiloché, foie gras, truffe hachée, chair de crustacés et autres éléments solides sont combinés à des ajouts liquides tels que vinaigre, crème fraiche, vin rouge ou blanc, autres boissons alcoolisées, etc…. Les possibilités de variation sont presque illimitées.
A ce répertoire primitif se sont ajoutées des sauces étrangères et l’utilisation de produits régionaux a permis d’en créer sans cesse de nouvelles. En voici une courte liste : ail (aïoli), beurre (beurre blanc), moutarde (sauce dijonnaise), crème fraîche (sauce normande), échalotes (sauce bordelaise), vin blanc ou rouge (sauce bourguignonne), oignons (sauce lyonnaise). Le nom d’une sauce est souvent dérivé de ses principaux ingrédients : Nantua aux écrevisses, périgourdine aux truffes, hongroise au paprika.
Il faudra attendre Auguste Escoffier pour alléger ces mélanges chauds souvent assez ‘consistants’. À partir de là, on a commencé à ‘réduire’ les sauces, en les faisant bouillir doucement. C’est désormais devenu la norme. Par ailleurs, ces sauces sont bien plus faciles à digérer. Pour les faire ‘briller’, on y ajoute souvent une noix de beurre.
Quelques sauces de base
Geert Gheysels : « Dans la cuisine classique, vous aviez 8 sauces de base : hollandaise, béarnaise, mayonnaise, vinaigrette, béchamel, velouté, sauce tomate et sauce espagnole. Les quatre dernières sont un peu tombées dans l’oubli au cours des dernières décennies.
« Ma sauce classique favorite est l’espagnole, une merveilleuse sauce de base qui a beaucoup de goût (rires). Elle n’a rien à voir avec l’Espagne. Dans une mirepoix, ajoutez un peu de purée de tomates, du bouillon brun et des épices. Laissez bouillir, ajoutez du madère, du porto, une demi-glace, de l’estragon, du persil, des truffes ou toute autre garniture et vous obtenez une merveilleuse sauce ‘classique’.
« A l’origine, les veloutés de volaille et de poisson ne contenaient pas de crème mais bien un fond de volaille ou de poisson. La vraie crème fraiche est d’ailleurs devenue très rare. Les saveurs des sauces à la crème étaient très saisonnières parce que la crème fraiche était différente à chaque fois. Les vaches qui broutaient dans les prés se nourrissaient différemment et leur lait, la crème donc, avait un aspect et un goût différents de celui qu’elles produisaient lorsqu’elles étaient nourries à la ferme. Pour faire ‘briller’ la sauce, faites-y fondre du beurre. Ici aussi, optez pour du beurre ‘frais’, ce que vous mettrez peut-être un certain temps à trouver, mais avec un peu de persévérance, c’est possible.
« La sauce froide classique est la vinaigrette : moutarde, vinaigre et huile. Pour ma part, j’utilise du vinaigre de chardonnay et je n’ajoute pas d’huile. La mayonnaise est un mélange classique de moutarde et de jaunes d’œufs auquel vous ajoutez petit à petit de l’huile. Dans les années ’80 du siècle précédent, les mayonnaises étaient préparées à base de jus de fruits de la passion et de gélatine. Aujourd’hui, la gélatine est souvent remplacée par de la farine de tapioca. Dans le Thermomix, cela donne une très belle sauce. Je n’utilise le Thermomix que pour préparer une hollandaise à 97°, que je monte ensuite avec du beurre (frais) clarifié à la minute ».
Les nouvelles sauces
Si les classiques demeurent la base, les chefs aiment expérimenter d’autres saveurs et émulsions. Le pionnier, bien sûr, était Ferran Adria, qui s’inspirait pour ses ‘sauces’ de ce qui était déjà connu dans l’univers de la pharmacie pour la fabrication de pommades et autres produits similaires. Heston Blumenthal, quant à lui, ne s’est jamais trop éloigné des classiques, mais les a transformés en sauces très originales et surprenantes. De nouveaux appareils et méthodes, même si certains n’étaient pas si nouveaux et étaient déjà connus en dehors du monde culinaire, ont révolutionné les saveurs et la transformation. Geert Gheysels – avec sa femme Kristien, pharmacienne, comme conseillère – s’est également penché sur les nouvelles tendances.
Geert : « Je travaille généralement avec des sauces à base de légumes. Le point de départ est un jus naturel. Ce jus, je l’obtiens en passant les légumes, tendres et durs, dans le slowjuicer, un Greenstar. Le jus et la pulpe sont séparés par les lames rotatives aiguisées comme des rasoirs. Comme il n’y a pas de friction, aucun échauffement ne s’opère et le jus ne s’oxyde donc pas et conserve sa couleur et sa valeur nutritionnelle. La masse restante peut facilement être séchée et réduite en poudre dont vous pouvez ensuite saupoudrer votre plat en guise de touche finale. À une époque où il est important de ne pas gaspiller, tant pour l’environnement que pour le porte-monnaie, c’est très appréciable ».
[ Tine Bral ]