Ce fut un hommage à la nouvelle génération de chefs espagnols (mais pas uniquement) qui se sont libérés des dogmes d’une cuisine devenue, pour beaucoup, trop figée. Eliminer les certitudes, apporter de nouvelles techniques, de nouveaux produits… Mais la XXIIIᵉ édition de ce congrès fut aussi l’occasion d’un salon offrant la possibilité de découvrir la richesse et la variété des produits de bouche de ce pays.

La présence de l’initiateur de ce mouvement novateur, Ferran Adrià, fut une fois de plus l’occasion de revenir sur le phénomène d’elBulli, le restaurant du chef catalan fermé depuis 2011 et rouvert en 2023 comme… musée. Sa cuisine fut qualifiée de ‘moléculaire’, ‘de la liberté’, de ‘technoémotionnelle’. Mais au-delà des termes, elle fut (hélas souvent mal copiée par de nombreux chefs espagnols mais aussi du monde entier.)

Il y a huit millions de restaurants dans le monde dont 149 bénéficient de trois étoiles au Michelin

En 1973, une première estocade de la cuisine classique, traditionnelle, fut celle du Guide Gault&Millau qui fut l’’inventeur’ de ce que l’on appela la ‘nouvelle cuisine’ avec parfois des excès sous prétexte de créativité. Plus tard, en Espagne, Adrià, avec ses techniques novatrices mais maîtrisées, fit école. Joan Roca, Santi Santamaria, Martin Berasetegui, Quique Dacosta, Antoni Luis Aduriz, Pedro Subijana… furent les chefs (les disciples ?) qui participèrent à la nouvelle image de la gastronomie espagnole.

En 1994, l’Espagne recensait trois restaurants triplement étoilés. En 2024, ils sont seize… Parmi eux, de nombreux chefs sont passés par les cuisines d’elBulli. Comme Oriol Castro, Eduard Xatruch et ­Mateu Casañas du restaurant ‘Disfrutar’ de Barcelona élu l’an dernier meilleur restaurant du monde (‘The World’s Best 50 restaurants’), dans ce classement annuel publié dans le magazine britannique ‘Restaurant’ certes sujet à controverse pour un manque de fiabilité. Hors Espagne, la nouvelle cuisine nordique s’est hissée au top mondial grâce à un chef, René Redzepi (‘Noma’ à Copenhague) et à d’autres qui ont trusté de nombreuses années le titre envié de ‘Bocuse d’Or’ à Lyon.

« L’ingrédient le plus important pour le chef du futur ? La culture »

La révolution culinaire vient également d’un pays latino-américain, le Pérou. A Madrid, un chef péruvien a participé à l’éclosion de la cuisine de ce pays devenue aujourd’hui sans doute la plus observée (et enviée) au monde. Gastón Acurio, à l’origine propriétaire d’un petit restaurant à Lima, en possède aujourd’hui 71 dans 12 pays. Il étudiait le droit à Madrid et s’était inscrit, en cachette de ses parents, dans une école d’hôtellerie. S’il fut inspiré à la base d’une cuisine française classique et aussi celle d’un grand chef espagnol qui l’inspira, le Basque Juan Mari Arzak, il se dirigea rapidement vers une cuisine péruvienne contemporaine inspirée par le Japon (avec des produits comme le soja, le wasabi, l’alga nori), la Thaïlande (le lait de coco) et l’Espagne (le jambon, le pimentón, l’huile d’olive). En Italie, Massimo ­Bottura (‘Osteria Francescana’ à Modène) pratique une cuisine italienne contemporaine. « Maintenant, je n’essaie pas de défendre la tradition mais de la briser, de la rompre », dit-il. « Il faut en construire de nouvelles. Et la culture est l’ingrédient le plus important pour le chef du futur ».

Différents concours culinaires sur des thèmes et des produits espagnols

Patrimoine de la cuisine espagnole, la croquette de jambon ibérique est sujette à différents styles suivant les régions du pays. Même de grands restaurants (notamment tri-étoilés) se doivent de présenter à leur carte cet incontournable de la cuisine de ce pays. Le vainqueur d’un concours qui lui était consacré, est Axel Smyth, chef du restaurant ‘Simpar’ de Saint-Jacques de Compostelle (Galice). Son secret ? Il réside d’abord dans la qualité de la sauce béchamel. Ensuite de son bouillon. Il utilise la partie du jambon sans os et elle est cuite à basse température afin d’obtenir du crémeux au centre et du croustillant à l’extérieur. Autre spécialité du pays, les bouchées au fromage.

Pour sa quinzième édition, le concours a vu la victoire de Jorge Landa Balaguer, chef de ‘La Era de los Nogales’ à Sardàs (province de ­Huesca, en Aragon). Sa bouchée ‘Adoquín de Zaragoza’ est constituée d’une enveloppe en papier de riz. Outre le fromage, la farce est constituée de ‘cebolla de Fuentes d’Ebro’, un oignon qui bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée dans la région de Saragosse. Ici, l’adoquin est tout d’abord à la base une pâtisserie sucrée. Spécialité d’Argentine, mais aussi d’une région d’Espagne (la galice), les empanadas furent aussi le sujet d’un concours autour des produits galiciens. Miguel ­Fernández Vidal, de l’atelier ‘Mai e Matucha’ à Madrid voué aux spécialités de la Galice, en est le vainqueur. Alors, dans ce chausson de pâte de blé farci, il devait assembler au moins un produit régional. Il avait le choix : fromage comme la tetilla, les châtaignes, le chorizo, le poulpe, la morue, le thon… Il a opté pour du chou, du jambon séché, des fanes de navet ajoutés à un pot-au-feu (‘cocido’) traditionnel.

D’autres concours furent également organisés. Comme, pour la première fois, celui du ‘championnat national du steak tartare réalisé en salle’, de la meilleure cuisine avec le mojo, cette sauce typique des Canaries, en harmonie avec les vins de Ténérife. Et encore celui de la meilleure escabèche.

 

La Catalogne est, cette année, la région mondiale de la gastronomie

Cava, pa amb tomàquet (pain tomaté à l’huile d’olive et ail) : un accord classique dans cette région, la première européenne à se voir décerner cette distinction de ‘région mondiale de la gastronomie’. Des dégustations de vins catalans furent organisées et animées par un ancien sommelier d’elBulli. Une année qui est donc l’occasion de découvrir produits et recettes de cette région bien connue des Belges. Riz à l’encre de seiche, anchois de L’Escala, plats ‘mer et montagne’ associant crustacés, viande ou volaille, suquet (ragoût de poisson), crème catalane … Et surtout les ‘calçots’, une variété d’oignons tendres et doux que l’on mange grillés sur un feu de bois avec les doigts. Toujours en Catalogne, Reus est la capitale espagnole du vermouth depuis 1892. Huit Maisons produisent encore cette spécialité que l’on peut notamment déguster dans les ‘vermuterias’ de la région.

A Barcelone, Ferran Adrià a son favori, ‘un lieu magique’, dit-il. Dans cette ville, la mode des vermuterias ne se dément pas et viendra, peut-être, un jour en Belgique. Il s’agit de ‘La Plata’ ouvert en 1945 et propose toujours les cinq mêmes tapas : salade de tomates et ­oignons, montaditos (mini baguettes) aux anchois et boudin, friture de poisson et anchois au vinaigre. On les commande à ‘la hora del vermut’, une expression qui indique l’heure de l’apéritif.

Beau succès pour les vins volcaniques des Canaries

On se bousculait sur l’espace dédié aux vins de l’archipel, surtout ceux de Lanzarote. Sur cette île située à 90 kilomètres du Sahara, l’aridité n’est pas un vain mot. Il y pleut seulement une quinzaine de jours par an. Ce vignoble de 3.000 hectares dispose de très vieilles vignes qui n’ont pas connu le phylloxéra pour donner des vins de caractère à la forte personnalité. Ils sont produits avec les cépages malvasiá volcánica (cépage que l’on retrouve uniquement ici), listán negro, moscatel. Les pieds de vignes sont plantés dans des trous profonds creusés dans la lave. Spectaculaire. ‘El Grifo’ est le plus ancien vignoble de l’île. Sa création remonte à 1775 ce qui en fait l’un des plus anciens producteurs d’Espagne. Une autre île espagnole, celle d’Ibiza, était représentée par quelques vins vendus prioritairement aux nombreux touristes qui la fréquentent.

[ Patrick Fiévez ]